lundi 27 février 2017

Le complot anti-Fillon, contre-enquête jusqu'au sommet de l'Etat

Le complot anti-Fillon, contre-enquête jusqu'au sommet de l'Etat

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/ Mercredi 15 février 2017 à 00:00
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Photo © AFP 
 
Enquête. Passées la sidération et l’inaudibilité, les proches du candidat de la droite décident de cibler leurs accusateurs. Leur contre-enquête mène au sommet de l’État.
 
Un pétard à mèche lente, allumée, durant l’automne, au sommet de l’État. Voilà la conviction de François Fillon et de ses amis quant à l’origine de l’affaire qui met le candidat de la droite et du centre en grande difficulté. Derrière cette métaphore, ils dessinent un scénario précis : l’Élysée s’est occupé du cas de chacun des candidats importants à la primaire de la droite et les a profilés afin de mieux pouvoir les empêcher, au moment de se trouver face à eux. Hollande finit par renoncer ? La mèche allumée continue à se consumer quand même et voilà que le bâton de dynamite explose, le mardi 24 janvier au soir, quand commencent à fuiter dans Paris les révélations du Canard enchaîné sur Penelope Fillon.

« Le crime est trop parfait pour ne pas être téléguidé »

À la lecture du journal, les ténors des Républicains se font la même réflexion : ce dossier a été préparé longtemps à l’avance. Très rapidement, la piste de la droite, d’une délation interne à leur propre famille politique, d’une manoeuvre éventuelle de Rachida Dati, est exclue par les conseillers de François Fillon : dans ce cas, l’ennemi aurait attaqué durant la primaire… Sans relever de la barbouzerie de haut niveau, puisqu’il ne s’agit “que” de pouvoir compiler des bulletins de salaire, le coup apparaît extrêmement bien ficelé, construit sur la base d’informations hors de portée du premier quidam venu. « Le crime est trop parfait pour ne pas être téléguidé », assurent un grand policier et un participant de la primaire, avec exactement les mêmes mots. Des élus vallsistes n’hésitent pas à le souffler à leurs collègues parlementaires : « Cela vient de tout en haut. »

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Un occupant du Château concentre les accusations : son secrétaire général, Jean-Pierre Jouyet. Ex-secrétaire d’État de François Fillon durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, Jouyet est surtout un ami intime de François Hollande. Un ancien ministre de droite qui l’a côtoyé au gouvernement décrit « un type au parcours tortueux ». Un éminent membre de l’équipe de campagne va plus loin : « Notre intime conviction, c’est qu’il est mouillé jusqu’au cou. » Les fi llonistes se basent sur le raisonnement suivant : pour collecter les contrats de travail, il faut avoir accès au bureau de l’Assemblée nationale, seul dépositaire de tels documents. Pour éplucher le patrimoine de la famille Fillon, il faut avoir accès aux services de Bercy. Comme secrétaire général de l’Élysée, Jean-Pierre Jouyet disposerait d’une vue à 360 degrés. Il est connu pour travailler en clan et contrôler de puissants réseaux : il a fait nommer comme conseillère justice de François Hollande Ariane Amson, qui occupait auparavant un poste de magistrat au parquet national financier. Ce même PNF qui s’est aujourd’hui saisi de l’enquête et dont la légitimité à agir se voit remise en cause par la défense de François Fillon (voir par ailleurs). « Il s’agit, à tout le moins, d’une maladresse », observe un des avocats de ce dernier. D’autant, comme l’a révélé Mediapart, en juin 2016, qu’Ariane Amson est à la ville la compagne de Pierre Heilbronn. Lequel, ancien conseiller de François Fillon au début des années 2000, puis directeur adjoint de cabinet de Michel Sapin à Bercy lors de ce quinquennat avant de rejoindre la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, est resté un très proche de Jouyet. Extérieures à l’équipe Fillon, plusieurs sources l’ayant croisé évoquent un secrétaire général de l’Élysée content de lui ces derniers jours, masquant à peine sa satisfaction quant aux déboires du représentant de la droite, dont il a été le secrétaire d’État aux Affaires européennes en 2007 et 2008.

Le divorce d’un petit milieu

Malgré ce compagnonnage gouvernemental, Jouyet et Fillon se détestent depuis leur déjeuner du 24 juin 2014. À l’issue de ce repas, le secrétaire général de l’Élysée racontera aux journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme que François Fillon lui a demandé de faire accélérer les procédures judiciaires en cours contre Nicolas Sarkozy. Au mois de novembre suivant, les journalistes publient cette stupéfiante confidence dans leur livre Sarko m’a tuer (Stock). François Fillon nie avec force et attaque Jean-Pierre Jouyet en diffamation.

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Une haine s’installe. Elle éclaboussera jusqu’à l’avocat Antoine Gosset-Grainville, le troisième homme de ce déjeuner. Gosset-Grainville a été directeur de cabinet de François Fillon lorsqu’il était Premier ministre, mais aussi le bras droit de Jean-Pierre Jouyet à la Caisse des dépôts, que celui-ci a dirigée, entre 2012 et 2014. Le fameux déjeuner du 24 juin 2014, c’est Antoine Gosset-Grainville qui l’a organisé, et il assurera, comme François Fillon, que les propos rapportés par Jouyet sont mensongers.

Une riposte au bazooka

Il y a dans ces colères cuites et recuites les ingrédients des déchirements les plus sauvages. « C’est un petit milieu dans lequel il y a eu un divorce, image un ancien directeur de cabinet de Premier ministre. Et comme dans tous les divorces, cela crée un scandale. » Les élus proches de François Fillon croient d’autant plus à une implication de Jean-Pierre Jouyet dans leurs ennuis que « le crime profite à Emmanuel Macron ». Si aucun des interlocuteurs n’imagine le leader d’En marche! impliqué personnellement dans cette affaire, ils pointent en revanche l’affection portée par Jean-Pierre Jouyet à Emmanuel Macron, son “grand protégé” : « On pense qu’il n’a rien demandé, mais force est de constater que cela lui profite », commente un conseiller de la campagne. Mais Macron n’est-il pas le Brutus de François Hollande ? Quel intérêt l’Élysée aurait-il à le favoriser ? « Absolument pas, rétorque un responsable filloniste. Il est son fils naturel. Celui pour qui le président accepte que la mère de ses enfants, Ségolène Royal, fasse campagne. »

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Le camp de François Fillon, ulcéré de voir l’avenir de son candidat s’assombrir, a décidé d’entamer une nouvelle phase et de politiser désormais la contre-off ensive : « C’est compliqué, car cela peut se retourner contre nous, mais est venu le temps de la riposte au bazooka. » À la direction de la campagne, on interroge : « Qu’aurait-on dit si Ceausescu avait diligenté une enquête sur son principal opposant politique, parlementaire de surcroît, à quelques semaines d’une élection présidentielle ? » Le mauvais traitement réservé aux sarkozystes, les différences idéologiques avec les juppéistes et le manque de chaleur humaine de François Fillon dissuadent ses troupes d’aller au feu pour lui. Tous en sont néanmoins convaincus, l’histoire risque de retenir cet épisode de la campagne présidentielle de 2017 comme une aff aire d’État. Avec, à la clé, la possible disparition de la droite gouvernementale avant même le début de l’élection présidentielle.

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