Méditant sur la crise que traversait alors la république de Weimar au début des années 1930, le célèbre juriste Carl Schmitt, dans un essai appelé, également, à passer à la postérité (Légalité et légitimité, pour ne pas le citer), avait démontré, s’opposant ainsi à son maître Max Weber, en quoi et pourquoi la légitimité légale-rationnelle (que Schmitt assignait, parlant de la Constitution de 1919, à « l’État législateur-parlementaire ») contenait en elle-même les germes structurels de son autodestruction.
Il en concluait qu’en dehors des autres formes « pures » de légitimité (dégagées par Max Weber dans Le savant et le politiqueen 1919) que sont le « pouvoir traditionnel » (fondé sur « des coutumes sanctifiées par leur validité immémoriale et par l’habitude enracinée en l’homme de les respecter ») et le « pouvoir charismatique » (« autorité fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d’un individu [charisme] »), une quatrième, le plébiscite, pourrait asseoir l’autorité d’un chef dont le respect serait appendu à « différentes sources : des effets d’un grand succès politique, des résidus autoritaires encore présents d’une époque pré-démocratique ou la réputation politique d’une élite para-démocratique ».
Le lecteur voudra bien nous pardonner cet exorde un peu long mais nécessaire pour appréhender le « phénomène Macron », mélange des trois légitimités – charismatique, légale-parlementaire et plébiscitaire -, cette dernière empruntant, dans la perspective schmittienne, les chemins stratosphériques de l’élite oligarchique, foin de l’onction populaire.
Emmanuel Macron, élu dans le mouchoir de poche d’un quarteron électoral issu de la mondialisation heureuse, a, semble-t-il, considérablement renforcé le phénomène de cour cristallisant à Paris, autour de sa personne, les féodaux, parlementaires ou ministres dévoués à sa cause et littéralement hypnotisés par la grâce juvénile de son verbe à la fois hautain et familier.
L’État législateur-parlementaire de Carl Schmitt est, ici, placé sous la tutelle de l’Élysée qui, notamment par une pratique singulière du recours aux ordonnances, paraît ravaler le travail législatif à sa plus prosaïque expression de fonction d’enregistrement et de bavardage sans lendemains. Quant au plébiscite, ne pouvant compter sur une France périphérique à laquelle il feint de s’intéresser par moment, il le recherche auprès de ses courtisans de la première heure.
Ainsi de Richard Ferrand, président du groupe La République en marche à l’Assemblée nationale, osant – c’est même à ça, murmure-t-on, qu’on le reconnaît – affirmer que son gourou opérerait la synthèse de tous les présidents de la VeRépublique : « Comme de Gaulle, il a une vision. Comme Pompidou, c’est un homme de lettres. Comme Giscard, un inspecteur des finances, comme Mitterrand, un homme d’histoire. Comme Chirac, il est empathique. Il a un vrai intérêt pour les gens. Quand il croise quelqu’un, il passe du temps avec lui, c’est pour ça qu’il est toujours en retard. Mais comme Sarkozy, il est hyper énergique et, comme Hollande, il a de l’humour. Ce mélange fait sa singularité » (Le Parisien, 19 octobre).
Le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, l’avait déjà devancé dans ce ridicule numéro de lèche-bottes blues : « J’assume cette dimension amoureuse. Mon niveau d’exigence envers moi-même est tel que si je dois avoir un chef, je dois avoir de l’admiration pour lui. Et Emmanuel est fascinant. Tout l’est chez lui : son parcours, son intelligence, sa vivacité, sa puissance physique même… » (Christophe Castaner, Le Point, 29 septembre).
Toutefois, il n’est pas certain que le portrait de Ferrand soit des plus flatteurs à l’égard de son champion qui incarnerait alors – exit de Gaulle qu’une « certaine idée de la France » conduisait à taxer les européistes fanatiques de « cabris » – à lui seul quarante ans de catastrophes et de déclin français.
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