jeudi 20 juillet 2017

Démission : la vérité sur l’affaire Villiers

Hommage. En annonçant, quelques jours avant le 14 Juillet, 850 millions d’euros de baisse des crédits militaires, Emmanuel Macron a provoqué la première crise de son quinquennat. Au-delà du sort du général de Villiers se joue celui des armées. Récit.

Jusqu’au bout, la rumeur a couru. L’hypothèse d’une démission du général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées, qui vient d’être exceptionnellement prolongé pour un an par Emmanuel Macron, est sur toutes les lèvres depuis le 14 juillet. Avant de rencontrer le président de la République, le 21 juillet, pour que celui-ci statue définitivement sur son sort, Villiers réunit, en début de semaine, ses chefs d’état-major pour partager une stratégie. Preuve que l’heure est grave, durant cette réunion, au contenu resté secret, sera évoqué un texte… de démission. Trois options s’offrent à lui : démissionner, choix difficile mais courageux, en accord avec ses engagements, lui qui prenait la plume, en 2016, dans les Échos, pour réclamer “une hausse progressive du budget de la défense pour rejoindre la cible de 2 % du PIB, avant la fin du prochain quinquennat”, l’effort ne pouvant être “ni allégé ni reporté”. Emmanuel Macron peut aussi lui demander de partir. Dernière possibilité : rester, au risque d’entamer sa crédibilité, après avoir tonné, dans le huis clos de la commission de la défense à l’Assemblée nationale : “Je ne me laisserai pas baiser comme ça !” Le général de Villiers, en démissionnant ce mercredi 19 juillet, a fait le choix du courage et de la cohérence.

La première vraie crise du quinquennat

Au sommet de l’État, on prend ces secousses pour ce qu’elles sont : la première réelle crise du quinquennat. Un désaccord stratégique profond entre le président de la République, chef des armées, et le premier des soldats français. La pilule passe mal chez les militaires, l’agression venant d’un président si prompt à utiliser leur image pour construire son mythe, de la remontée des Champs-Élysées en command car au déplacement à Gao, en passant par son hélitreuillage à bord du Terrible, un sous-marin nucléaire lanceur d’engins. La baisse des crédits militaires — Bercy impose 850 millions de réduction des dépenses aux armées — malgré la promesse de campagne d’Emmanuel Macron, qui affirmait vouloir porter l’effort de défense à 2 % du PIB en 2025, vient fracasser le consensus autour du président de la République. La droite, la gauche, le FN et les mélenchonistes, atones, sont supplantés par un général d’armée : malgré lui, Pierre de Villiers vient de devenir un symbole.
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En coulisses, l’affaire se joue entre quelques protagonistes. Même s’il l’a sèchement recadré, le 13 juillet au soir (“Je suis votre chef”), dans une allocution glaçante à l’hôtel de Brienne, Emmanuel Macron a pris soin de rencontrer Pierre de Villiers, le 17 juillet, dans le plus grand secret. Leur rendez-vous suivant, fixé le 21 juillet, devrait solder l’épisode. Des conseillers officieux, le général Paloméros, ancien chef d’état-major de l’armée de l’air, ou Didier Casas, chargé du programme régalien de Macron pendant la campagne présidentielle, ont repris du service pour anticiper la désignation d’un successeur. Mais le véritable affrontement oppose davantage Villiers à Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée, qu’au chef de l’État. Austère, le haut fonctionnaire acquis à la cause de Bercy plaide ardemment pour que 20 % de l’effort demandé aux ministères soit supporté par les armées. Du temps où il régnait sur le ministère de la Défense, Jean-Yves Le Drian plaidait — contre Bercy, déjà — pour une accélération de la livraison du matériel. La passe d’armes opposait à l’époque son directeur de cabinet, Cédric Lewandowski, à celui du ministre de l’Économie, un certain… Alexis Kohler. Les arbitrages furent gagnés par la Défense, mais, sitôt le couple Macron-Kohler installé à l’Élysée, Lewandowski paya son engagement par une exfiltration du ministère…

Des conséquences sur le terrain comme au sommet de l'Etat

Cette saignée est pourtant lourde de conséquences. Le manque de moyens devrait cette fois retarder le renouvellement des équipements, les deux derniers volets du programme Scorpion : la livraison de véhicules, comme le Griffon, qui permet, à la différence de certains modèles actuels, dont le fond n’est pas blindé, de limiter le nombre de soldats tués en opérations par des mines, sera retardée. “Une telle diminution aura un vrai impact sur la maintenance des hélicoptères, outils par excellence des forces spéciales”, souligne également le général Gomart, ancien patron du commandement des opérations spéciales.
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Président de la commission de la défense à l’Assemblée nationale, le député LREM Jean-Jacques Bridey l’affirmait pourtant mardi soir : “L’engagement des 2 % du budget de la défense sera tenu à horizon 2025. Il n’est ni envisageable ni d’actualité que le général de Villiers démissionne. Il y a toujours de l’estime et de la confiance entre les deux hommes.” Florence Parly, ministre des Armées, restée jusque-là bien silencieuse, devrait désormais jouer, elle aussi, son rôle. Autre certitude : l’affaire laissera des traces. En 1983, le général Delaunay, chef d’état-major de l’armée de terre, présentait sa démission à Charles Hernu, pour protester contre une diminution de 10 % des crédits. À l’époque, le budget de la défense se situait autour de 3 % du PIB…

Villiers a fait son devoir
Si Emmanuel Macron considère que le général de Villiers est allé trop loin lorsqu’il s’est exprimé avec franchise (“Je ne me laisserai pas baiser comme ça !”) devant la commission de la Défense de l’Assemblée nationale, il se trompe : le rôle du chef d’état-major des armées est précisément d’alerter les élus de la nation sur les enjeux d’une diminution de crédits. De fait, comme l’indique le code de la Défense, il est “responsable de l’emploi opérationnel des forces” et du “commandement des opérations militaires”. (R 3121-1) S’il avait tenu un autre discours, le général de Villiers aurait manqué à son devoir. La commission Défense, “c’est le lieu où la vérité doit être dite aux élus de la Nation”, rappelle le Général Gomart.

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