Armées : quelle mouche a piqué Emmanuel Macron ?
À la veille de la célébration annuelle du lien entre les armées et la nation, le chef de l'État humilie le chef d'état-major des armées. Mais pourquoi donc ?
PAR JEAN GUISNEL
Modifié le - Publié le | Le Point.fr
En rendant la traditionnelle visite présidentielle, jeudi soir, aux troupes du défilé du 14 Juillet, Emmanuel Macron a vivement pris à partie le chef d'état-major des armées, le général Pierre de Villiers, accusé d'avoir publiquement défendu le budget militaire : « Je considère pour ma part qu'il n'est pas digne d'étaler des débats sur la place publique. J'ai pris des engagements, je suis votre chef. Les engagements que je prends devant les concitoyens, devant les armées, je sais les tenir et je n'ai à cet égard besoin de nulle pression, de nul commentaire. » Ce coup de gueule qui va tendre fortement les relations entre l'exécutif et les forces militaires est d'autant plus violent qu'il est injuste.
Pierre de Villiers ne s'est exprimé que devant la représentation nationale, dans un cadre parfaitement légal et en se tenant à son rôle. Il avait certes employé des termes inhabituels pour exprimer son mécontentement, en expliquant qu'il refusait de se faire « baiser » par Bercy. Mais cette expression n'avait rien de déplacé, dès lors qu'il n'a jamais remis en cause la légitimité du politique, jamais critiqué le chef de l'État, chef des armées… Surjouant l'affichage de sa colère, Emmanuel Macron en a rajouté : « J'aime le sens du devoir, j'aime le sens de la réserve qui a tenu nos armées là où elles sont aujourd'hui. Et ce que j'ai parfois du mal à considérer dans certains secteurs, je l'admets encore moins quand il s'agit des armées. De mauvaises habitudes ont parfois été prises sur ces sujets considérant qu'il devait en aller des armées aujourd'hui comme il en va de nombreux autres secteurs. Je le regrette. »
Humiliation publique
Après une parenthèse de cinq années qui ont vu les engagements budgétaires tenus à l'égard des armées, Emmanuel Macron reprend les vieilles habitudes. Il réduit le budget de la défense pour régler les problèmes financiers de la République, mais sans ajuster simultanément les missions demandées aux forces : la dissuasion nucléaire ne bouge pas. Les services de renseignements continuent d'être largement dotés en personnel et en moyens. Les opérations extérieures se poursuivent sur plusieurs continents. Et quand l'hôte de l'Élysée veut honorer un chef d'État étranger, ce sont les armées qui font le show.
Comment va évoluer cette crise dans les heures et les jours qui viennent ? Comment réagira Pierre de Villiers, homme droit et entièrement dévoué au service de la France, à cette humiliation publique fort malvenue ? Nous le saurons rapidement. Mais les options sont limitées. La première, c'est que le général, tout juste reconduit à son poste, avale le savon et poursuit sa mission que le gouvernement vient de reconduire jusqu'à juillet 2018. La deuxième, c'est qu'il choisit de démissionner, mais prenant le risque de laisser accroire qu'il abandonne son navire entrant dans la zone des tempêtes. Troisième option : le limogeage. L'avenir dira ce qu'il en est.
Les tensions sont fortes
Cet épisode aura au moins permis à Emmanuel Macron de préciser ses intentions en matière de budget militaire. En 2017, il ne versera pas aux armées le surcoût des opérations extérieures (Opex), soit 850 millions. À ce jour, 2,7 milliards d'euros sont en sus « gelés » par Bercy sur le même budget 2017. Plus de 10 % d'un budget de 32,7 milliards sont remis en cause. Prétendre, comme le fait le président, qu'il n'y a pas de problème, c'est un peu court ! En précisant qu'il tient ses « engagements », le président de la République a confirmé jeudi sa promesse de campagne de porter le budget de la défense à 2 % du PIB en 2025, contre 1,7 % aujourd'hui. Le budget militaire augmentera donc en 2018, pour atteindre 34,2 milliards, dont 850 millions pour les Opex. Les armées demandaient 2 milliards de plus.
Le président le sait pourtant : les efforts que cela entraîne pour toutes les armées sont énormes. Les déploiements sont supérieurs d'un tiers au contrat opérationnel liant l'État aux armées. Ces dernières consomment donc à grande vitesse des « potentiels » d'autant plus précieux que de très nombreux matériels (blindés, hélicoptères, avions de transport) sont vétustes. Quant au personnel, il est lui aussi en surchauffe. Les opérations s'accumulent, les entraînements se réduisent d'autant, les familles s'usent. Les tensions sont fortes.
Symbolique
Avant son élection, Emmanuel Macron avait multiplié les déclarations destinées à démontrer sa volonté de maintenir une politique de défense cohérente. En validant les priorités de son prédécesseur sur les engagements internationaux (opérations extérieures) et la lutte contre le terrorisme, en prenant l'engagement radical de porter le budget de la défense à 2 % de la richesse nationale en 2025 (contre 1,7 % aujourd'hui). Cerise sur le gâteau : il promettait même un très cocasse service militaire d'un mois à tous les jeunes Français, sans évoquer la question de son financement…
Depuis qu'il a pris ses fonctions, le président de la République s'est beaucoup servi des armées pour mener sa politique de communication. Que ce soit en inaugurant ses fonctions en visitant un hôpital militaire, geste apprécié, ou bien en se rendant au Mali ou sur un sous-marin nucléaire, il s'est affiché parmi les hommes et les femmes en uniforme, parlant peu mais assez pour indiquer qu'en matière de défense, il n'y aura personne d'autre que lui. Photos martiales, petits discours émouvants : la symbolique était appuyée. Lui qui est de par la Constitution le seul « chef des armées » modifiait même le nom du ministère de la Défense pour en faire le ministère « des Armées ». Nommant successivement à sa tête deux personnalités peu susceptibles de le contrarier.
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