Consultant en sécurité
 
Dans la campagne électorale délétère que nous vivons, l’émergence de l’affaire de l’éventuel cabinet noir de l’Élysée doit nous faire regarder sous un autre prisme la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Lors des débats sur l’adoption de cette loi, je posais la question suivante sur ce site : « Valls surveillera-t-il le FN ? » Me serais-je trompé de cible ?
La loi sur le renseignement contenait, de mon point de vue, une rédaction dangereuse pour nos libertés individuelles. Aujourd’hui, on peut légitimement se poser la question de savoir si l’exploitation de cette loi n’aurait pas permis à l’exécutif d’être tenu informé de l’activité de certains opposants politiques comme Nicolas Sarkozy avec Paul Bismuth, François Fillon ou Marine Le Pen… et d’autres peut-être, y compris à gauche.
Petit rappel. L’article L. 811-3 de cette loi renseignement liste, de manière limitative, les motifs d’intérêt public pour lesquels peut être autorisé le recueil de renseignements par des techniques spéciales prévues par la loi, notamment le fameux IMSI-catcher.
Y figure, bien sûr la prévention du terrorisme, l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale, les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France, mais aussi « la prévention de toute forme d’ingérence étrangère et la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions ». Cette rédaction a donné lieu à un vif débat sur le très large périmètre concerné et l’occasion qu’elle offrait d’effectuer des écoutes de journalistes, avocats, intellectuels mal-pensants… et de certains hommes et femmes politiques considérés comme dangereux pour la vie de la nation.
Alors, je me pose la question : François Fillon et Marine Le Pen, par exemple, ont pu être considérés comme trop proches de Vladimir Poutine et, donc, constituer un danger d’ingérence étrangère dans la campagne électorale française et, donc, faire l’objet d’une surveillance à ce titre ? Les propos de Manuels Valls à la télévision portugaise, en avril 2015, pour qui « il est hors de question que la France tombe entre les mains du Front national car elle possède l’arme nucléaire » venaient après d’autres déclarations dans lesquelles il considérait le FN comme un danger pour la France. Or, c’est le Premier ministre, pierre angulaire du dispositif, qui autorise et ordonne ces surveillances. Je ne dis pas que Manuel Valls pourrait être à l’origine d’un éventuel cabinet noir, mais d’éventuelles surveillances auraient pu être exploitées par d’autres.
Tout ceci ne me semble pas être une simple vue de l’esprit, la tentation de tout pouvoir en place d’utiliser les moyens mis à sa disposition pour surveiller ses opposants politiques est très forte. L’Association confraternelle de la presse judiciaire, le barreau de Paris et le Conseil national des barreaux ont d’ailleurs déposé plusieurs recours contre la loi renseignement devant la CEDH le 3 octobre 2015, arguant que celle-ci mettait en danger le secret attaché à chacune de leur profession. Il ne serait pas admissible, dans un État de droit, que la lutte contre le terrorisme devienne prétexte à la surveillance des opposants politiques.
Alors, s’il n’y a pas de cabinet noir à l’Élysée comme le disent les auteurs du livre Bienvenue place Beauvau, la vraie question n’est-elle pas de savoir si l’exécutif n’a pas utilisé ou fait utiliser, ou si certains serviteurs zélés n’ont pas utilisé les pouvoirs supplémentaires offerts par la loi, afin d’être encore mieux renseignés et informés sur certains opposants politiques ? Dans ce cas, le vrai débat concernerait la révision de cette loi renseignement dans un sens plus protecteur des libertés individuelles, tout en conservant son efficacité pour la lutte contre le terrorisme…