Par
Patrice Buffotot, chercheur en science politique
(Université de Paris 1), directeur de l’Observatoire européen de sécurité et de
la revue électronique Défense
& Stratégie. Auteur de 4 éditions (1995,1998, 2001 et 2005) de La défense en Europe à la
Documentation française.
(Note : Antérieure à la
manifestation du Trocadéro ayant pris les « comploteurs » à
contrepied, cette analyse, par ailleurs lumineuse par les perspectives qu’elle
offre, semble mal mesurer la capacité de résistance de François Fillon.
Début
février, elle spéculait déjà sur
l’élimination de François Fillon. La force morale de ce dernier a changé les
données du problème.
*
Le
général de Gaulle a voulu l’élection du président de la République au suffrage
universel pour lui donner plus de légitimité mais aussi pour
empêcher les manipulations comme c’était le cas sous la IV République.
De Gaulle estimait qu’il était plus difficile de manipuler des millions
d’électeurs que quelques centaines de députés et sénateurs. Les réseaux
et groupes de pression ont réussi à reprendre la main et à manipuler ces
millions d’électeurs depuis le début des années 70.
Ces
manipulations ont commencé avant le départ du général de Gaulle avec l’affaire
Markovic en octobre 1968. L’objectif était de déstabiliser le probable
successeur du général de Gaulle, Georges Pompidou. La manipulation a échoué.
Lors des élections de 1974, on a assisté à l’élimination de Jacques Chaban
Delmas grâce à la publication de sa déclaration d’impôts. En 1981 les
manipulations ont été multiples.
Elles
commencent dès 1979 avec la publication par le Canard Enchaîné le 10 octobre
d’un article révélant l’affaire des diamants de Bokassa dans le but discréditer
le président Valéry Giscard d’Estaing. C’est un argument qui a été largement
utilisé pendant la campagne de 1981. Mais les manipulations ont été multiples.
En effet au second tour de 1981, le Parti communiste français a fait voter sur
ordre de Moscou pour le candidat de droite, Valéry Giscard d’Estaing tandis qu’à droite, le chef du parti
gaulliste, Jacques Chirac a appelé en sous-main à voter pour le candidat de
gauche, François Mitterrand.
En
1988, l’homme à abattre était Raymond Barre et de multiples rumeurs ont
circulé, notamment sur sa femme, d’origine hongroise, accusée d’être un agent
du KGB. En 1995, c’était Edouard Balladur qu’il fallait éliminer. Des réseaux ont fait voter des électeurs de
gauche pour J. Chirac au premier tour afin d’éliminer Balladur qui est arrivé
en troisième position, derrière Chirac.
La
manipulation la plus réussie a été celle des élections présidentielles de 2002,
où l’homme à éliminer était cette fois
Lionel Jospin du parti socialiste. Deux candidatures ont été notamment
suscitées et organisées (en fournissant des hommes et un financement) à savoir
celle de Jean-Pierre Chevènement (qui a obtenu 5,32 % des suffrages exprimés)
et celle de Christiane Taubira (2,31 des SE) qui sera remerciée sous la présidence
Hollande. L’objectif de ces deux candidatures était de capter une partie des
voix de l’électorat de gauche. Résultat : Lionel Jospin n’a obtenu que 16,17 %
des SE. Les deux candidatures lui ont coûté 7,63 % des SE. Ces suffrages
manquants, pouvaient facilement l’aider à dépasser J. Chirac qui a obtenu 19,88
% des SE. Le piège a donc bien fonctionné, Jospin n’arrive que troisième
derrière J. Chirac, avec un retard de 3,6 % des SE. Il est donc éliminé pour le
second tour.
Chirac qui se retrouve face à J-M Le
Pen, n’a pas besoin de faire campagne. Il refuse tout débat à la télévision et avec
l’organisation d’une vaste campagne antifasciste notamment au sein de la
jeunesse, il est élu dans un fauteuil avec 82 % des suffrages. (Note : ce qui est le score
d’une République bananière. Personne n’est cependant choqué que le vote de près
de 20% des Français soit ainsi passé à la trappe sous couvert d’un « vote
républicain »)
La question que l’on doit se poser est :
« Qui voulait l’élimination de Jospin ? ». Un réseau a organisé une
déstabilisation du candidat socialiste pour faire réélire Jacques Chirac. L’autre question est pourquoi et au profit
de quels intérêts ?
*
Nous
venons d’assister en janvier 2017, juste avant la campagne officielle des
élections présidentielles, à une vaste entreprise de manipulation qui se
décompose en trois opérations distinctes que l’on peut appeler la « Valse à
trois temps ».
1-
Premier temps : éliminer François Fillon le plus dangereux.
On
s’aperçoit que le candidat à abattre est François Fillon, le candidat désigné
par les primaires de droite le 27 novembre 2016 et qui avait jusqu’à présent
une forte probabilité de gagner.
Une première manipulation a eu lieu dès le premier tour des
primaires. Elle a consisté à faire
participer des électeurs de gauche pour voter en faveur d’Alain Juppé et ainsi
éliminer Sarkozy au premier tour (Fillon n’avait aucune chance de gagner
selon les sondages). Ils sont revenus au second tour pour éliminer cette fois
F. Fillon mais la manœuvre a échoué. Cette opération avait été préparée par une
longue campagne médiatique en faveur de Juppé donné favori dans tous les
sondages, et ce bien avant le premier tour des primaires.
Une seconde manipulation devient alors
nécessaire.
L’objectif est de délégitimer Fillon auprès de ses électeurs potentiels afin
qu’ils renoncent à voter pour lui en semant le doute. Il fallait le toucher dans son intégrité. Les informations révélées
par le Canard enchaîné du 25 janvier 2017 montrent que
l’opération a nécessité l’accès à des informations provenant des services de
l’État notamment celles concernant les salaires payés par le directeur de la
Revue des Deux mondes, Marc de Lacharrière à l’épouse de F. Fillon.
Une piste commence à se dessiner, ce
serait des membres du sérail de l’ancien ministre Macron, proches de l’Élysée, qui seraient à la
manœuvre mais tout cela est difficilement prouvable. Un d’entre eux aurait
rencontré le mardi 9 janvier 2017 Michel Gaillard, directeur du Canard
Enchaîné, et ami de François Hollande pour lui remettre les informations en sa
possession.
En tout cas, la
justice s’est saisie en un temps record de l’affaire. La procureure du Parquet national
financier, Madame Houlette1 annonce
l’ouverture d’une enquête le jour même (le 25 janvier) de la parution du Canard
Enchainé pour « détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et recel
». Les investigations ont été confiées au Parquet financier
Cette
campagne de déstabilisation est particulièrement efficace et F. Fillon a deux
solutions : soit il démissionne mais dans ce cas le parti des Républicains va
devoir choisir un nouveau candidat (le fameux plan « B ») mais cette opération
est risquée car les rivalités sont telles que le parti peut éclater. Fillon
était en effet le seul à assurer l’unité.
La solution alternative est de continuer
le combat contre vents et marées mais il prend le risque de perdre des
élections qui étaient jusqu’à présent « imperdables ». La droite est prise dans
un piège et il n’existe aucune bonne solution.
Si
Fillon dévisse dans les intentions de vote et tombe en dessous de 20 %, la
poursuite de la campagne de révélations et de dénigrement suffira pour le
disqualifier définitivement. Son discours devient inaudible dans les médias qui
ne parlent que des « affaires » et non de son programme.
Au
cas où F. Fillon persisterait à vouloir rester candidat, et remonterait dans
les sondages, le réseau à l’origine de ces manipulations n’aurait plus qu’à
appliquer ce qu’il avait fait en 2002, à savoir promouvoir des candidatures
concurrentes, capables de lui siphonner suffisamment de voix pour qu’il ne soit
pas présent au second tour, comme cela avait été le cas pour Lionel Jospin.
Dans
cette configuration, il n’est pas évident que la candidature de F. Bayrou soit
souhaitable car il prendrait plus de voix à Macron qu’à Fillon. Des sondages
ont certainement été commandés pour déterminer le(s) meilleur(s) candidat(s)
capable(s) de déstabiliser Fillon Les vocations ne manqueront pas.
C’est le cas par exemple de Michèle
Alliot-Marie
qui se prépare depuis longtemps mais aussi de bien d’autres. F. Fillon a déjà
baissé dans les sondages et il suffira de lui faire perdre deux ou trois points
pour l’éliminer.
2-
Deuxième temps : éliminer Manuel Valls à gauche
Une
troisième opération vise la gauche. Elle a consisté à éliminer l’ancien premier
ministre Manuel Valls lors des primaires de la gauche au profit de Benoît
Hamon, un apparatchik socialiste marqué idéologiquement très à gauche et
faisant rêver les militants avec le salaire universel.
Il
est étonnant d’entendre le soir du premier tour des primaires de gauche, la
Haute autorité annoncer les résultats à 20h 30 en pourcentages qui ne bougeront
pas malgré le dépouillement de centaines de milliers de bulletin. Certains experts expliquent cet étrange
phénomène par la forte culture de fraude du parti socialiste.
Et
de citer comme exemple l’élection à la tête du parti socialiste de Martine
Aubry contre Ségolène Royal après un trucage des résultats. Ces méthodes dignes des pratiques de
l’Union soviétique consistant à fixer les résultats la veille du scrutin, ne
sont dénoncées par aucun leader socialiste.
Comment se fait-il que M. Valls n’ait
pas contesté les résultats ?
Il semble avoir joué un rôle de figurant dans un scénario écrit à l’avance.
Faire élire Hamon, marqué idéologiquement très à gauche, n’est pas neutre. Il
est évident qu’il ne risquera pas de prendre voix à Macron, ce qui aurait été
différent si Manuel Valls avait été désigné. Il aurait en effet chassé sur les
mêmes terres et lui aurait pris une partie de ses électeurs. Il est d’ailleurs
fort probable que l’on assiste au ralliement d’une partie des socialistes du
clan Valls à la candidature de Macron.
Quant à Benoist Hamon, il est conscient
qu’il n’a aucune chance aux élections présidentielles mais il vise la conquête
du parti socialiste et à sa recomposition. On sait depuis longtemps que les
congrès socialistes se gagnent à gauche, c’est ce qui s’est passé aux
primaires, qui ont été en réalité le substitut à un congrès socialiste en vue
de sa reconstitution.
On comprend que toutes ces manipulations
à droite et à gauche ont pour seul objectif de dégager la voie à la candidature
Macron. D’un côté on cherche à affaiblir, voir éliminer le candidat Fillon par
une campagne médiatique en montant des affaires. De l’autre côté, à gauche, on
dégage l’espace politique pour Macron en éliminant M. Valls au profit de B.
Hamon.
3-
Troisième temps : Faire élire Emmanuel Macron
L’objectif est bien de faire élire
Macron. Ce dernier est lancé comme un produit marketing depuis plusieurs mois en insistant sur
son aspect « moderniste », « jeune », « branché », le candidat « Geek » (1) qui
comprend l’évolution du monde et de la technique.
(1)
En Anglais ce mot a deux sens dont la contradiction est révélatrice de la
confusion dans laquelle nous sommes plongés : Il signifie à la fois
« as en informatique » et « tocard ».
Quels sont les ralliements à Macron ? Une rapide analyse des divers ralliements
à sa candidature nous donne une idée des forces qui se positionnent derrière le
candidat. On trouve la vieille garde des imposteurs politiquement corrects : L.
Joffrin, Pierre Bergé, BHL, J. Attali, A. Minc, B. Kouchner, D. Cohn-Bendit.
Ils vont recevoir le renfort de socialistes de droite mais aussi des centristes
et même des Républicains comme l’ancien directeur de campagne de Bruno Lemaire,
Jérôme Grand d’Esnon ou l’ancienne ministre Anne-Marie Idrac.
E.
Macron présente l’avantage de réaliser la synthèse entre le libéralisme
économique et le libéralisme culturel.
Dans le domaine
économique, il est pour la dérégulation, la fin du salariat, l’ubérisation
de la société, la suppression des nations et des frontières et pour une
immigration massive bienfait pour l’économie, etc.
Dans le domaine
culturel, c’est un libertaire dont le fondement idéologique est la doctrine
relativiste.
Il est pour une société multiculturelle,
le libéralisme des mœurs, la fin de la famille traditionnelle, le droit des
minorités etc… Le profil des personnalités qui se rallient à Macron
illustre bien l’idéologie véhiculée par le candidat qui pour amalgamer des voix
de gauche comme de droite se doit de rester dans le flou.
Les
conséquences politiques
Les primaires ont été la première
victime de cette manipulation.
Les médias nous avaient vantés l’intérêt des primaires comme étant une grande
avancée de la démocratie pour la désignation des candidats.
Alors
pourquoi ont-elles été « court-circuitées » ? Ce sont en effet les candidats
hors primaires qui survivent : à savoir Mélenchon, Macron et Le Pen. Tous ceux
qui ont participé ont été éliminés (Sarkozy, Juppé, et peut être même celui qui
a été élu, F. Fillon. Le phénomène est identique à gauche avec Valls et Hamon).
Les
primaires apparaissent aux yeux des citoyens comme un subtil jeu de bonneteau
pour voler leurs voix et un « piège à cons » pour les politiques qui se sont
prêtés au jeu.
La seconde victime est la classe
politique
qui est une fois de plus déconsidérée par le déballage des affaires. Ceux qui
ont commencé à jouer à lancer des « boules puantes » comme disait le général de
Gaulle, ont ouvert la boîte de Pandore des « révélations » sur les candidats,
situation qui peut devenir très vite incontrôlable. Les médias ne devront pas
alors se plaindre du « populisme » qui monte dans la société française.
Les troisièmes victimes sont les grands
partis de gouvernement
qui structurent la vie politique française, à savoir le parti socialiste et le
parti des Républicains qui ne résisteront pas à l’onde de choc des primaires et
à l’échec de leurs candidats aux prochaines présidentielles.
Qui
manipule et pour quels intérêts ?
François
Fillon nous donne une piste.
Il
déclare le 1er février à son équipe qu’il s’agit d’un « coup d’État institutionnel »
contre sa candidature à la présidentielle, et provient « de la
gauche », sans plus de précision. Un réseau effectivement sévissait à
gauche lors de la manipulation de 2002. Mis en place sous les présidences de F.
Mitterrand, il a prospéré sous J. Chirac. C’est la raison pour laquelle il l’a
fait réélire à tout prix au détriment du candidat du parti socialiste. Pourquoi
ce réseau a-t-il préféré un radical-socialiste à un socialiste ?
En 2017, il semble que ce réseau ait
rallié d’autres forces convergentes pour faire élire Macron. Il est certain que ce dernier comme J.
Chirac en son temps sera redevable à ces réseaux de son élection. Quel deal
a-t-il passé avec eux ? La question centrale est donc de savoir ce que
cherchent à obtenir ces réseaux en faisant élire leur candidat (Chirac en 2002 et Macron en 2017) au
point d’organiser des manipulations sophistiquées.
Il
y a des enjeux financiers auxquels se sont agrégés des enjeux idéologiques en
2017. Si l’on prend l’exemple de 2002, J. Chirac une fois élu, a laissé les
coudés franches à ce réseau dans les domaines économique et financier. Il
semble évident qu’avec Macron qui
prévoit de « libéraliser » (en réalité « casser ») de nombreux secteurs de
l’économie française, ce réseau prédateur pourra se partager des pans
entiers de l’économie française.
A cela s’ajoutent les enjeux
idéologiques.
Il est important pour eux de défendre la
doctrine relativiste au sein de la
société française qui est remise en question actuellement dans le monde
occidental. Il s’agit de défendre notamment la poursuite de la législation en
faveur des minorités en lien avec des groupes de pression internationaux. Il est évident que le conservateur
catholique Fillon était l’antithèse de leur modèle de société et qu’il fallait
l’éliminer à tout prix pour ces deux raisons. C‘est donc non seulement un
modèle économique mais aussi un modèle de société qui se cachent derrière cette
manipulation.
4
Février 2017
Note :
Le succès de la manifestation du 5 mars au TROCADERO, rend une partie de
l’analyse caduque. Le succès ou l’échec
du complot pour éliminer François FILLON dépend de la journée du 15 mars et des
résultats de sa convocation par les juges. Même avec un dossier juridiquement
vide, une mise en examen est possible, quitte à accepter un acquittement
ultérieur au tribunal ou même un non lieu après la mise en examen. Mais, dans
l’opinion, l’impact de la mise en examen est de nature à détruire la candidature de François
FILLON.
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