François Fillon victime d'un complot comme il le dit ? Pour Jean Nouailhac, l'étrange célérité de la justice et l'acharnement médiatique le laissent penser.
Par Jean Nouailhac
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Pour commencer, il fallait avoir l'idée incongrue de remonter dans le temps et d'aller chercher des salaires d'un total de 640 000 euros net (830 000 euros brut dont 190 000 de prélèvements obligatoires) versés entre 1989 et 2013 à l'épouse d'un député au titre de l'assistanat parlementaire (soit 2 220 euros net par mois en moyenne sur 24 ans), et parvenir à en faire une énorme montagne médiatique, ce qui constitue un premier exploit.
Il fallait ensuite obtenir que la Justice avec un grand « J » transforme cette information en affaire d'État afin que le député en question, ancien Premier ministre et candidat à la magistrature suprême, se retrouve mis au ban de la société et de la politique alors qu'il est en campagne électorale, montré du doigt par des médias audiovisuels étonnamment vindicatifs à son égard et traité par la justice ni plus ni moins que comme un membre du grand banditisme financier.
Une manœuvre d'une brutale férocité et d'une redoutable précision, dont les éléments successifs s'emboîtent parfaitement les uns après les autres, comme si tout avait été planifié et minutieusement organisé par des animaux politiques à sang froid doués d'une stupéfiante perversité et d'un accès illimité à des informations administratives et fiscales confidentielles.
Missiles
Tout commence donc par « l'opération Canard enchaîné » qui révèle les salaires bruts, et non les salaires nets, « touchés » par la femme du candidat et accessoirement par deux de ses enfants, au titre de l'assistanat parlementaire. Alors que ces collaborations parfaitement légales ont pris fin en 2013, on trouve le moyen de remonter plus d'un quart de siècle en arrière et de sortir ce dossier trois ans et demi après le dernier salaire versé, au moment où le candidat commence à déployer sa campagne électorale. On chercherait à déconsidérer ce candidat qu'on ne s'y prendrait pas autrement.D'autant plus que, jusqu'en 2012, ce qui semble avoir échappé à nos journalistes « bien informés », les députés pouvaient légalement conserver le reliquat du crédit collaborateurs qui leur était attribué. « Cet argent ne serait donc pas resté dans les caisses de l'Assemblée, selon le témoignage d'un ancien attaché parlementaire », Vincent Goyet, qui ajoute malicieusement : « Ceux qui demandent à Pénélope Fillon de rendre l'argent ignorent manifestement qu'il se serait agi de le rendre… à François Fillon lui-même. »
Quoi qu'il en soit, pour que Le Canard enchaîné sorte un pareil dossier, il aura fallu qu'on lui en transmette les principaux éléments. De mauvaises langues rappellent volontiers que François Hollande a toujours été proche de certains journalistes, particulièrement pendant ses années d'auditeur à la Cour des comptes et de membre du cabinet de Max Gallo, porte-parole de François Mitterrand, pendant lesquelles il « prend un certain plaisir » à découvrir « l'art de la manipulation de l'information » (in La Madone et Le Culbuto de Marie-Ève Malouines et Carl Meeus, Fayard, 2006), puis pendant sa période de premier secrétaire du PS. Il connaît bien le vrai patron du Canard enchaîné, Michel Gaillard, qui vient d'y fêter ses cinquante ans de présence et dont il est le directeur/PDG depuis vingt-cinq ans. Il paraît vraisemblable qu'à l'époque où il pensait encore être candidat à un nouveau mandat, Hollande ou des membres de son équipe rapprochée aient commencé à préparer certains missiles contre des opposants potentiels.
Des magistrats nommés par le pouvoir
Après l'explosion médiatique, l'affaire judiciaire : le Parquet national financier (PNF) se saisit du dossier par une autosaisine TGV d'une rapidité inouïe telle qu'on n'a pas dû en voir une semblable pendant ces cinquante dernières années. Dans les heures qui suivent la parution du Canard enchaîné, Éliane Houlette, procureur de la République financier, annonce qu'elle va ouvrir une enquête préliminaire sur François Fillon. Ce PNF de création récente (2014) est un parquet d'exception, le seul avec le parquet antiterroriste à bénéficier d'une compétence nationale.Créé à la suite de l'affaire Cahuzac, il est dirigé donc par Éliane Houlette, nommée à ce poste par la garde des Sceaux de l'époque, Christiane Taubira, après avis du Conseil supérieur de la magistrature, considéré comme très proche du pouvoir. Mme Houlette, qui a été longtemps procureur au tribunal de commerce de Paris et qui est en fin de carrière, doit cette belle promotion à Christiane Taubira, qui a également nommé l'essentiel des procureurs adjoints et des vice-procureurs, Ulrika Delaunay-Weiss, Monica d'Onofrio, Patrice Amar et Michel Pelegry… Il n'est pas interdit de penser, en outre, que ces décisions aient transité par le bureau de François Hollande, lequel a toujours surveillé de très près ce genre de nominations.
Il faut se rappeler que tous les procureurs de France sont nommés par le pouvoir et sont des représentants de l'État en matière de justice. Ils ne sont pas « la Justice », et la Cour européenne des droits de l'homme leur refuse d'ailleurs cette appartenance à l'autorité judiciaire. Ce sont des hauts fonctionnaires magistrats qui dépendent du ministère de la Justice et qui ne sont donc pas indépendants. Ne jamais oublier que « la Justice » est composée de deux sortes de magistrats : ceux des parquets qui sont nommés par le pouvoir et dont la carrière dépend du pouvoir, et ceux de l'instruction (les juges d'instruction) et du siège (les juges qui jugent), qui sont les seuls magistrats à être indépendants du pouvoir. En principe, évidemment…
Une autosaisine anticonstitutionnelle ?
Cette autosaisine express du Parquet national financier serait-elle illégale ? Selon l'avocat Me Grégoire Lafarge, ancien chargé de cours de droit pénal à l'université Paris-II et qui fut professeur pendant dix ans à l'École du barreau de Paris, « il apparaît que la séparation constitutionnelle des pouvoirs en France s'oppose à ce qu'une enquête préalable d'un parquet puisse s'exercer, s'agissant de fonds gérés par le pouvoir législatif, à l'encontre d'un député qui ne peut dépendre que du bureau de son Assemblée, seul compétent en la matière ». Selon lui, l'autosaisine du PNF serait ainsi « anticonstitutionnelle » et donc illégale. Et Me Lafarge d'ajouter : « De nombreux avocats et juristes sont stupéfaits qu'une telle saisine ait pu intervenir dans ces conditions. » Même chose pour la perquisition opérée dans le bureau de François Fillon à l'Assemblée nationale, qui serait aussi illégale dans la mesure où elle n'a pas été formellement autorisée par le bureau de l'Assemblée.LIRE aussi Affaire Fillon : pour les avocats du couple, l'enquête est « illégale »
D'autres pénalistes vont dans le même sens. Ainsi, Éric Dupond-Moretti confirme que « selon le droit parlementaire, c'est au bureau de l'Assemblée nationale de se saisir de cette affaire ». Un ancien avocat qui s'est consacré à la politique, Patrick Devedjian, député et président du conseil départemental des Hauts-de-Seine, remarque dans une chronique à L'Opinion que la loi qui a institué le Parquet national financier « le destine aux affaires financières complexes relatives à la grande délinquance financière », ce qui n'est évidemment pas le cas de celle-ci, et note que le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, qui se félicite régulièrement de la bonne marche de son ministère, a omis de se féliciter cette fois « de la diligence de la Justice », intervenue « quelques heures à peine après la parution hebdomadaire qui a déclenché l'affaire ».
Grégoire Lafarge, enfin, se déclare « très troublé par le fait que la dénonciation de François Fillon émane d'un journal qui prétend agir au nom de la transparence, mais que cette transparence ne s'applique pas à ce journal ». En somme, les journalistes dits « d'investigation » qui, par des moyens détournés, réussissent parfois à recueillir certaines informations couvertes par le secret professionnel, feraient bien d'aller aussi « investiguer » à l'intérieur du Canard enchaîné afin de remonter aux sources du dossier, dans la mesure, évidemment, où ils recherchent la complète vérité. On peut imaginer en effet que si ce PNF s'est autosaisi à la vitesse de l'éclair sur le seul fondement d'un article de presse, c'est parce qu'il s'était préparé à le faire dans le cadre de ce qu'on peut bien appeler un coup monté. Au minimum, la question mérite d'être posée.
Une enquête « secrète » qui fuite de toutes parts
Ensuite, une fois lancée, la machine devient implacable. La justice est comme la police : lorsqu'elle a un gigot à manger, elle ne lâche rien tant qu'elle n'est pas allée jusqu'à l'os. Un déroulement d'autant plus implacable que l'affaire s'autoalimente au fur et à mesure que le tam-tam médiatique prend de l'ampleur. François Fillon, sûr de son bon droit et qui ne se méfie pas assez, collabore gentiment à l'enquête dans un premier temps alors qu'il est en train de lancer sa campagne électorale. Ses avocats lui disent que « l'État de droit a été violé », que le principe de la séparation des pouvoirs a été foulé aux pieds, mais il accepte de faire porter ses dossiers de justificatifs au parquet financier. Il accepte même de répondre aux questions des enquêteurs et de collaborer activement « à la recherche de la vérité ».Il a été plusieurs fois ministre, puis Premier ministre pendant cinq ans. Il a le sens des responsabilités. Il sait le travail ingrat de la justice. Il respecte les magistrats et ne semble pas croire qu'une puissante machination a été ourdie contre lui, jusqu'au jour sans doute où des PV d'audition de l'enquête préliminaire sont publiés par Le Monde, ce « journal de référence » devenu tellement proche du pouvoir que certains observateurs français et étrangers ne le considèrent plus que comme « le journal officiel » de François Hollande. Or l'enquête préliminaire du PNF est censée être totalement secrète. Seuls les magistrats et les policiers peuvent en avoir connaissance, surtout pas les avocats et encore moins les journalistes. Patrick Devedjian ajoute dans sa chronique : « Le ministre de la Justice ne s'est pas étonné non plus » de cette fuite organisée et « aucune information n'a d'ailleurs été ouverte pour cette violation du secret professionnel ».
Culpabilité totale de la famille Fillon d'un côté, selon les médias, impunité totale des pouvoirs exécutifs et judiciaires de l'autre : pourquoi se gêner, d'ailleurs ? Le plan, s'il y en a un, se déroule parfaitement… Pas de réaction non plus chez Mme Houlette, qui semble trouver normal que ces procès-verbaux d'audition des Fillon soient publiés dans Le Monde. L'hypothèse d'un coup monté se confirme ainsi de plus en plus. Jour après jour et du matin au soir, les médias audiovisuels pilonnent François Fillon et sa famille. Les sondeurs s'en donnent à cœur joie et remplacent souvent des journalistes dans les débats télévisés quotidiens avec leurs analyses faussement objectives. Ils sont les nouveaux oracles du moment.
Le procureur Houlette déclare qu'elle « n'envisage pas, en l'état, un classement sans suite de la procédure » puis, dans la continuité, finit par annoncer l'ouverture d'une information judiciaire « des chefs de détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, complicité et recel de ces délits, trafic d'influence et manquements aux obligations de déclaration à la Haute Autorité sur la transparence de la vie publique ». On se croirait dans une affaire de grand banditisme.
Un juge au tableau de chasse éloquent
De nouvelles fuites, au profit cette fois de Libération et de Mediapart, surgissent alors dans la presse proche du pouvoir, avec un nouveau scoop : la nomination comme juge d'instruction principal du célèbre Serge Tournaire, connu pour être « l'inquisiteur » de la magistrature française dès qu'il s'agit de dossiers explosifs sur des personnalités ou des célébrités. Il a été choisi par le nouveau président du tribunal de grande instance de Paris, Jean-Michel Hayat, un ancien conseiller technique de Ségolène Royal. Le tableau de chasse de ce juge est éloquent : affaire Tapie-Crédit lyonnais, affaire Bygmalion, Serge Dassault à Corbeil, Charles Pasqua, Christophe de Margerie dans l'affaire « pétrole contre nourriture », et surtout le dossier du financement de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2012. Il est allé jusqu'à mettre sur écoutes non seulement l'ancien président, mais également son avocat Thierry Herzog.LIRE aussi Affaire Fillon : qui est Serge Tournaire, en charge de l'instruction ?
Une façon pour le moins critiquable d'exercer le métier de juge d'instruction. Pour faire bon poids, il avait même fait procéder à une brutale et inédite perquisition dans les locaux de Me Herzog, ce qui avait scandalisé toute l'Europe judiciaire : que le secret de l'instruction soit régulièrement trahi est spécialement grave, mais que l'intimité professionnelle entre les avocats et leurs clients puisse être mise en cause dépasse l'entendement. C'est le juge Tournaire enfin, dans cette même affaire électorale, qui a pris dernièrement la décision de renvoyer Nicolas Sarkozy devant le tribunal correctionnel, contre l'avis de l'autre juge du dossier, Renaud Van Ruymbeke.
Cet « inquisiteur » est souvent affublé de qualificatifs tels que « teigneux », « intransigeant » ou « coriace », ce qui témoigne d'une certaine et anormale raideur. S'il n'est pas allé jusqu'à ordonner une perquisition au domicile que Nicolas Sarkozy partage avec sa femme Carla Bruni, il n'a pas hésité, dès sa nomination, à envoyer ses policiers perquisitionner les deux adresses de François Fillon, son appartement à Paris et son manoir dans la Sarthe. Ce juge d'instruction ne recule devant rien et sa hiérarchie semble sortir du même tonneau : une nouvelle violation du secret professionnel intervient alors avec la publication dans le JDD, sur deux grandes pages, d'un résumé des 19 procès-verbaux de l'enquête préliminaire du Parquet national financier. Il va être difficile de nous faire croire qu'il ne s'agit pas d'un coup monté dans lequel « la Justice » serait instrumentalisée… Soyons clair : se poser légitimement des questions sur les interférences du temps judiciaire avec le temps politique, ne revient pas pour autant à critiquer la sacro-sainte indépendance de la justice. Être indépendant, c'est bien, mais montrer qu'on l'est vraiment, c'est beaucoup mieux.
Une promotion stupéfiante
« Il est stupéfiant, nous déclare Me Lafarge, qu'à tout le moins la teneur d'un tel dossier ait pu être communiquée encore à un journaliste alors que les avocats de François Fillon n'ont toujours pas le droit d'en obtenir copie puisque leur client, s'il doit être mis en examen, ne le sera qu'au jour de sa convocation par le juge d'instruction le 15 mars. C'est vraiment une affaire très étrange. Poursuivre un député pour détournement de fonds publics ? Ce n'est jamais arrivé de toute l'histoire de la Ve République. Perquisitionner chez lui alors qu'il doit se consacrer jour et nuit à sa campagne électorale ? Comment pourrait-il préparer sa défense dans ces conditions ? Il y a là une suspicion légitime sur le calendrier dans cette affaire et, quoi qu'il advienne, la démocratie n'en sortira pas grandie. »Pas plus qu'elle ne sortira grandie d'une bien étrange nomination qu'on vient d'apprendre, celle du juge Jean-Michel Gentil, nommé « hors hiérarchie » premier vice-président « en charge de l'instruction, à Paris », où il pourrait ainsi rejoindre ses amis du pôle financier. Le juge Gentil, alors juge d'instruction à Bordeaux, s'était rendu célèbre pour avoir osé mettre en examen Nicolas Sarkozy en 2013 dans l'affaire Bettencourt lorsque ce dossier avait été délocalisé dans le Sud-Ouest, avant de devoir finir par délivrer à l'ancien président un non-lieu dans son ordonnance de renvoi. Une promotion à Paris pour services rendus ?
Toutes ces pérégrinations judiciaires en France n'étonneront certainement pas l'ONG Transparency International dont le dernier rapport annuel sur notre pays est très critique : « Transparency France, peut-on y lire, appelle depuis longtemps l'adoption d'une réforme constitutionnelle visant à mettre l'ensemble des magistrats du parquet à l'abri de toute intervention politique. Réclamée depuis plus de 20 ans, cette mesure vise à éviter que des hommes ou femmes politiques s'immiscent indûment dans le cours de la justice, par la voie d'instructions données dans des dossiers individuels. » On ne peut être plus clair.
Les leçons de morale de François Hollande
François Hollande d'ailleurs en était tellement conscient que, lors de sa campagne électorale de 2012, il en avait fait son « engagement n° 4 » ainsi rédigé : « Si je suis élu président de la République, je proposerai une réforme du mode de nomination des magistrats du parquet pour l'aligner sur celui des magistrats du siège […] Le Conseil supérieur de la magistrature devra faire, lui aussi, l'objet d'une réforme afin de le soustraire aux influences politiques ». Inutile de préciser que François Hollande n'a jamais donné suite à cet « engagement », ce qui n'étonnera pas grand monde.Il a quand même trouvé le moyen au passage, de donner des leçons de morale civique à François Fillon. Dans un communiqué de l'Élysée, il a fait savoir ceci : « Une candidature à l'élection présidentielle n'autorise pas à jeter la suspicion sur le travail des policiers et des juges […] et, pire encore, à lancer des accusations extrêmement graves contre la justice »… C'était le 1er mars, mais c'était tellement énorme qu'on aurait pu se croire un 1er avril !
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