Patrick Edery est Président directeur général de Partenaire Europe, un cabinet de conseil originaire d'Europe centrale.
FIGAROVOX/TRIBUNE - Patrick Edery, PDG de Partenaire Europe, déplore que le maintien discutable de la domination du couple franco-allemand dans l'UE se fasse au mépris des puissances d'Europe centrale, et notamment de la Pologne.
Emmanuel Macron, en cette fin du mois d'août, a décidé de rencontrer les chefs d'État des gouvernements autrichien, bulgare, roumain, slovaque et tchèque. Bien sûr l'on remarque tout de suite la grande absente de cette tournée: la Pologne. Certains s'empresseront d'affirmer que Jupiter assouvit sa juste colère contre l'impudente Varsovie en la bannissant de l'Olympe européen. La réalité est peut-être moins glamour. En effet, les Pays d'Europe Centrale et Orientale (PECO), étaient en train de s'unifier autour de la Pologne afin de gagner un peu d'autonomie face à la toute-puissante Allemagne. Berlin au regard de son passé et ses échéances électorales (élections législatives en septembre) ne pouvait intervenir directement. Aussi notre président s'en vient essayer de semer la zizanie en opposant les dirigeants sociaux-libéraux autrichien, bulgare, tchèque, slovaque et roumain aux conservateurs polonais, hongrois et croate. Et en leur demandant de choisir leur camp.
Les travailleurs détachés, la partie émergée de l'Iceberg
L'objectif, louable, de la tournée présidentielle serait la révision de la directive européenne sur le travail détaché. Cette dernière organise une concurrence déloyale des pays «Low Cost» de l'U.E. sur le territoire français. Les 4 principales nationalités de travailleurs détachés en France sont les Polonais (46 000), les Portugais (44 000), les Espagnols (34 000) et les Roumains (30 000).
Les pays choisis pour cette tournée ont des profils très hétérogènes. Ils ont, par contre, un point commun: leurs dirigeants sont social-libéral, à l'exception du premier ministre bulgare de centre-droit, mais qui rencontrera M. Macron en compagnie de son Président de la République, lui, désigné par les sociaux-démocrates.
Selon la presse, l'Élysée a choisi ces pays car se sont «les plus attachés à leur ancrage européen» et qu'Emmanuel Macron va rencontrer les pays de l'Est qui «ont été plutôt ignorés» depuis plusieurs années par la France.
Résumons. Le Président se rend dans les PECO au sujet des travailleurs détachés. Il n'y rencontre pas le pays qui représente 1/3 de la population et du PIB de la zone et qui est le premier pourvoyeur de travailleurs détachés en France: la Pologne. Il a des RDV uniquement avec ceux qui sont les plus «coopératifs» et proche de ses opinions: les sociaux-libéraux. Il souhaite tellement démontrer aux PECO qu'ils ont de l'importance pour lui qu'il leur parlera de ses problèmes.
Or M. Macron n'arrive pas en terrain conquis. Il a appuyé Mme Merkel dans sa «demande» à la Commission d'engager une procédure visant à contraindre la Tchéquie et ses voisins polonais et hongrois à accepter la répartition des demandeurs d'asile au sein de l'U.E. Tous les pays de la zone ont noté que cette procédure n'a englobé ni l'Autriche ni la Slovaquie, ces deux pays ayant feint d'accueillir des réfugiés (respectivement une cinquantaine et une vingtaine) pour échapper, avec succès, aux sanctions. Ils interprètent cette procédure comme une punition contre ceux qui ont osé s'opposer publiquement à la politique migratoire allemande, imposée unilatéralement par Mme Merkel. Alors que cette dernière, dans le même temps, leur imposait une politique énergétique germano-russe, contraire aux intérêts européens.
Nord Stream 2: un gazoduc symbole d'injustice et de domination
Ce nouveau projet consiste à dupliquer le gazoduc existant Nord Stream qui relie directement la Russie à l'Allemagne via la Baltique et dont la principale caractéristique est qu'il évite tous les pays de l'Est. Les capacités Nord Stream 1 et 2 supplanteront les deux gazoducs passant actuellement par l'Europe centrale. Pour les pays de cette zone, mais aussi les pays scandinaves, ce projet mine la sécurité énergétique européenne. D'un point de vue légal, il pose problème car la législation énergétique définie par Bruxelles interdit à une entreprise d'assurer à la fois l'extraction, le transport et la vente de gaz. Malgré cela, Berlin maintient son projet qui lui permettra de couvrir ses besoins annuels en gaz via une seule source d'approvisionnement: la société russe Gazprom.
La Russie s'assure ainsi de l'approvisionnement direct de son principal client en Europe, elle évite de s'acquitter des droits de passage aux pays de l'Est, et pourra utiliser la menace de couper les robinets pour faire pression sur les PECO, comme elle l'a fait avec l'Ukraine.
Aussi lorsque la Commission poursuit la Pologne sur la question migratoire et ferme les yeux sur la politique énergétique de l'Allemagne qui met en péril les intérêts vitaux des pays de l'Est, comment ces derniers ne pourraient-ils y voir, au mieux, une injustice, au pire, l'hégémonie allemande en action?
L'Initiative des Trois Mers (I3M) ou l'instrument d'endiguement du leadership allemand
Pour échapper à cette domination, douze pays de l'UE (l'Autriche, la Bulgarie, la Croatie, la République tchèque, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie), ont signé un accord en 2016 pour améliorer leur coopération économique et créer une nouvelle alliance énergétique.
L'I3M est clairement une déclaration d'indépendance à Berlin et Moscou mais aussi une réponse au projet d'Europe à deux vitesses du couple franco-allemand. Cette alliance part d'un constat simple: en Europe centrale l'écrasante majorité des routes, pipelines et lignes ferroviaires se trouvent dans un axe est-ouest, principalement en raison de la longue domination germano-russe. Aussi l'objectif de l'I3M est de développer des infrastructures et connexions le long d'un axe nord-sud complètement indépendant de l'Allemagne et de la Russie. Concrètement l'I3M c'est trois projets principaux: une autoroute reliant la Lituanie à la Grèce et deux gazoducs: un premier de la Bulgarie à l'Autriche, et un autre de la Croatie à la Pologne. Ce dernier gazoduc devrait être alimenté par méthanier par les USA qui proposent des prix inférieurs à ceux des Russes. De plus, le Sénat américain s'est rangé du côté des pays de l'I3M en approuvant diverses mesures permettant de sanctionner les sociétés qui investissent ou participent au gazoduc russo-allemand.
La Pologne, une puissance qui compte de nouveau en Europe centrale
La Pologne apparaît donc en Europe centrale comme celle qui ose dire «non» à l'Allemagne. Elle est porteuse d'un projet qui pourrait assurer à la fois un minimum d'indépendance énergétique par rapport à la Russie et une autonomie politique vis-à-vis de Berlin. Varsovie est aussi en train de devenir la colonne vertébrale de la défense en Europe Centrale et s'affiche comme le principal opposant à Moscou au sein de l'UE.
La crainte, pour les pays d'Europe centrale, est que la Russie, après la Tchétchénie, la Géorgie, l'Ukraine, ne déclenche un nouveau conflit de basse intensité dans les pays Baltes qui comptent de fortes minorités russophones (9% en Lituanie, 26 % en Estonie et 29% en Lettonie). Et ce ne sont pas les déclarations à répétition de M. Poutine, faisant de la protection des minorités russophones, où qu'elles soient dans le monde, un impératif pour Moscou, qui vont rassurer.
Profitant du Brexit et des tropismes prorusse et pro allemands supposés de Paris, Varsovie a réussi à apparaître à ses voisins comme le seul pilier de sécurité régionale de confiance au sein de l'UE. Ce pays est un des rares membres de l'Otan qui a consacré 2% de son PIB à l'armée. Outre le fait que la Pologne modernise à marche forcée son armée et représente plus de 40% des forces des pays de l'Otan en Europe de l'Est, elle accueille sur son sol 4000 soldats américains et leurs systèmes antimissiles les plus perfectionnés. Ce leadership a même été consacré par le président américain Trump, le 6 juillet 2017 à Varsovie, devant les 12 chefs d'État de l'I3M (tous membres de l'UE).
Quand on confond la raison d'État avec celle du Chef de l'État
Le couple Merkel-Macron semble, pour l'instant, sur la même longueur d'onde et plus proche que ne l'ont jamais été aucuns de leurs prédécesseurs. Ensemble ils jouent de plus en plus la Chine contre les USA, comme sur la question du climat. Ils en arrivent même à se rallier aux positions chinoises appelant la Corée du Nord et les USA à la désescalade, mettant ainsi dans le même panier Washington et Pyongyang. Ils sont sans concession avec la Pologne sur la question des migrants syriens et sont d'une extrême délicatesse avec l'Arabie Saoudite qui les refuse. Pourquoi un tel renversement de nos préférences?
La position de Berlin, qui nous a habitués à plus de pragmatisme et de consensus, peut paraître étonnante. L'Allemagne retrouverait-elle ses ambitions impériales? Ou plus prosaïquement la Chancelière Merkel, les élections approchant, essaye de laisser le moins d'espace à son adversaire socialiste M. Schultz et aux écologistes en s'opposant à M. Trump sur le climat et aux pays de l'Est sur les réfugiés?
Notre Président ne trouverait-il pas aussi son avantage à traiter ainsi les États-Unis et la Pologne? En termes de politique intérieure, ayant fait une OPA sur les courants libéraux du PS et des LR, son seul réel adversaire sera le courant conservateur des LR (incarné un temps par M. Fillon et peut-être demain par M. Wauquiez). Aussi décrédibiliser les conservateurs polonais et américains est une manière de ringardiser leurs homologues français.
Le couple Merkel-Macron au-dessus de notre raison d'État
Nul ne peut nier le rôle du couple franco-allemand dans l'établissement en Europe d'une paix longue de trois quarts de siècle. Pour autant, n'érige-t-on pas ce qui était au départ une nécessité en un dogme? Avec le Brexit et les mécontentements des pays de l'Est mais aussi latins envers Berlin, Paris avait toutes les cartes en main pour redevenir la puissance continentale dominante. Opportunité qui ne s'était plus présentée depuis deux siècles. Et en trois mois que faisons-nous? Nous menons une contestation stérile contre notre plus ancien allié: les USA. Nous demandons la tête de notre plus vieille amie: la Pologne. Nous arrivons même à nous mettre à dos les Italiens à qui nous faisons de mauvaises manières avec le tunnel du Mont Blanc, les migrants et la Libye. Si l'intérêt de l'Allemagne dans ce jeu d'influence est identifiable, quel est celui de la France?
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