Sombre prédiction d’un spécialiste européen de l’islamisme radical : le problème de l’Europe va aller en s’aggravant
L'analyse effrayante du chercheur norvégien Thomas Hegghammer a encore récemment été corroborée par l'attentat de Berlin. Vaincre l'Etat Islamique ne suffira absolument pas et c'est bien l'islam radical sur le plan idéologique qu'il faut combattre.
Atlantico : Le Washington Post revenait récemment sur l'argumentaire du chercheur norvégien Thomas Hegghammer qui estime que la situation en matière de terrorisme en Europe est vouée à empirer à l'avenir. Il se base notamment sur la situation de précarité d'une forte part des jeunes musulmans européens, mais aussi sur le retour de combattants du front syro-irakien, entre autres. Un tel constat vous semble-t-il pertinent ? Doit-on craindre une résurgence du terrorisme en Europe ?
Roland Lombardi : Je pense en effet, que la menace terroriste risque plutôt de s’intensifier. Daesh affaibli sur le terrain, les volontaires au djihad ont de plus en plus de mal à rejoindre les théâtres d’opération en Libye et surtout en Irak ou en Syrie. Sans parler de ceux qui en reviendront ! De fait, comme d’ailleurs le leur recommandent les responsables de Daesh eux-mêmes, ils seront plus tenter d’agir là où ils vivent, notamment en Europe, le ventre mou de l’Occident. On l’a bien vu avec les derniers attentats qui ont touché la France et dernièrement l’Allemagne.
Certes, Daesh sera vaincu à plus ou moins long terme. Mais une fois l’EI disparu, un autre mouvement verra sûrement le jour et n’oublions pas qu’Al-Qaïda existe toujours… Ainsi, le problème n’est pas tant les problèmes socio-économiques (même s’ils ont leur importance), ni même le terrorisme (qui est en définitive un mode opératoire comme un autre) ou encore l’organisation (interchangeable) mais bien l’"idéologie", à savoir le wahhabisme et le salafisme djihadiste, en un mot, l’islamisme conquérant et politique, qui survivra à Daesh et qui sera plus difficile à vaincre…
On combat le terrorisme par la force et la détermination mais aussi par l’intelligence. Car, en effet, le seul moyen de lutter contre une idée est de lui opposer une autre idée. Le problème est de savoir si, pour l’heure, l’Occident –ou du moins nos dirigeants actuels- a quelque chose de grand, de solide et de sérieux à proposer comme "idée"…
De plus, n’oublions pas que ceux qui sont en première ligne pour combattre le djihadisme sont les musulmans eux-mêmes et surtout, les autorités religieuses sunnites. Aussi diverses et divisées qu’elles soient, ce sont elles qui devraient entreprendre une réelle "révolution religieuse" et un véritable "aggiornamento" dans l’islam, comme l’a appelé de ses vœux Al-Sissi, le Président égyptien, dans son fameux discours de décembre 2014 à Al-Azhar… Mais ça c’est une autre histoire…
Quels sont les principaux ressorts et mécanismes qui corroborent cette thèse ? De quelles armes disposons-nous pour intervenir dessus et lesquelles utilisons nous aujourd'hui ? L'état d'urgence est-il suffisant ?
Malheureusement, l’Europe, géant économique, n’est cependant qu’un nain politique et géopolitique. Elle est pour l’instant démunie. Mais elle est moins démunie "matériellement" que moralement. Je m’explique : en dépit d’un manque de moyens certains, les polices européennes sont relativement efficaces. Les services de sécurité et de renseignement européens s’adapteront rapidement en prenant exemple sur leurs collègues espagnols, italiens et surtout, français qui ont déjà acquis une certaine expérience dans la lutte contre le terrorisme en général et le terrorisme islamiste en particulier. Par ailleurs, la coopération à ce niveau va inévitablement se développer et monter en puissance. Toutefois, c’est au niveau politique que je suis beaucoup moins optimiste. Quid des inefficaces accords de Schengen ? Quid de la politique catastrophique concernant l’accueil des migrants ? Quid des divergences de vues sur la Méditerranée et le Moyen-Orient ? Et enfin, quid du courage de nos dirigeants ?
Dans ce type de terrorisme, dont le but est clairement de faire éclater les sociétés européennes et déclencher des guerres civiles, il faut tout faire (notamment par des mesures d’exception que les Etats européens se refusent encore à prendre) pour que les citoyens, perdant patience, ne prennent un jour des dispositions dramatiques pour se défendre eux-mêmes. Comment réagiront-ils lorsqu’une école ou un petit village seront attaqués ? Certes, on ne cesse de le répéter, le risque zéro n’existe pas. Toutefois, le danger doit être réduit au minimum. Et c’est là que le bât blesse. On sent très bien que nos dirigeants hésitent et tergiversent. Chose étonnante pour des chefs d’Etat "en guerre" ! Finalement, le sentimentalisme (à géométrie variable), l’angélisme, les idéologies et le manque de courage (et "la diplomatie des contrats" notamment pour la France) sont les véritables plaies des politiques européennes face au terrorisme, à l’islamisme, à la crise des migrants ou face aux bouleversements proche-orientaux. Passons sur le moralisme inquisiteur, la mièvrerie, les mensonges et les manipulations de la plupart des médias européens concernant la crise des "réfugiés" (qui est surtout et d’abord, une grave crise géopolitique pour le continent) ou plus récemment, sur la libération d’Alep. Passons aussi sur certaines élites et intellectuels bien-pensants, parfois décrits comme "spécialistes" du monde arabo-musulman, ceux que Gilles Kepel appelle justement les "islamo-gauchistes", et qui ne voyant pas plus loin que leurs idéologies faisandées, recherchent encore des excuses et des circonstances atténuantes aux terroristes ! Comble de l’ignominie, certaines de ces belles âmes osent même qualifier les jeunes français, partis faire le djihad en Syrie ou en Irak, de "vétérans" !
Par contre, nous ne pouvons que déplorer les discours lénifiants et dignes de simples présidents d’ONG de la part d’Angela Merkel et de François Hollande. Là où nous aurions aimé écouter une femme et un homme d’Etat, c'est-à-dire une Thatcher et un Clemenceau, nous n’avons entendu que des politiciens déconnectés des réalités et de leurs peuples, une sorte de Mère Teresa et d’Abbé Pierre, mais sans, bien sûr, les hautes et sincères qualités morales et humaines de ces derniers ! C’est pitoyable et surtout dangereux ! Car au niveau des Etats, ce que nous considérons comme de la tolérance, de la solidarité ou de la charité universelle…est, au contraire, le plus souvent perçu comme de la faiblesse. Et en projetant une image de faiblesse, nous récoltons et récolterons encore de la violence.
Par ailleurs, en dépit des mesures prises depuis 2015, la majorité des Européens et des Français par exemple, ne se sentent pas protégés par leurs responsables, en qui ils n’ont d’ailleurs plus aucune confiance. Ils sont en colère. Une colère qui se défoule pour l’instant dans les urnes et les réseaux sociaux, mais jusqu’à quand ?
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