Jean-Claude Allard, mars
2017
Qui imagine un seul instant le général de Gaulle
mis en examen ?
En lançant ces mots, François Fillon commettait
deux erreurs : une erreur tactique parce qu’il n’imaginait pas la manœuvre qui
allait le prendre à revers et une erreur historique parce que le général de
Gaulle fut réellement inculpé et condamné. Certes, nous pouvons dire,
rétrospectivement, qu’il y avait de la grandeur dans l’insubordination du
général qui a permis le retour de la France dans le concert stratégique des
Nations et nous ne nierons pas qu’il y a quelque chose de dérisoire dans les
fautes, pour l’instant supposées, du candidat à sa succession.
Un premier constat qui ne permet pas de les
rapprocher. Et pourtant, tout comme l’histoire a réhabilité le général,
pouvons-nous affirmer qu’elle ne réhabilitera pas le candidat ?
*
N’y a-t-il
pas une dimension stratégique dans cette présidentielle 2017 ?
Voyons les faits dans les années 1930-1945. Dès
1924, de Gaulle, jeune officier dénonce l’ennemi allemand en train de sombrer
dans le national-socialisme, tout en fustigeant dans ses écrits ( « La discorde chez l’ennemi », 1924 ;
« Le fil de l’épée », 1932 ; « Vers
l’armée de métier », 1934 ; « La France
et son armée »,) 1938.les carences de l’État français, de la
société et de l’armée. Il a d’ailleurs une idée arrêtée du pouvoir politique :
« A quoi tient l’empire du politique ?
Une cabale de cour, une intrigue de conseil, un
mouvement d’assemblée le lui arrache dans l’instant ». (Le
politique et le soldat, in Le fil de l’épée, Le
livre de poche, p.127) Passons, même si la citation est intéressante, le cœur
du sujet n’est pas là.
Par sa ténacité à alerter le pouvoir politique,
ce général inconnu se voit appeler, par un gouvernement en désarroi, au poste
de sous-secrétaire d’État au ministère de la Défense Nationale et de la Guerre,
dans le Cabinet de Paul Reynaud, du 6 au 16 juin 1940. Durant ces dix jours, il
bouscule les politiques pour les convaincre de poursuivre la guerre, puis
devant leur refus, il décide seul de représenter la France en obtenant du
Premier ministre britannique, Winston Churchill la reconnaissance de Chef de la
France libre. Cette France « [...] Elle sait, elle sent, qu’elle
vit toujours d’une vie profonde et forte» (Discours du 24 juin 1940
diffusé en réponse à la signature de l’armistice par le gouvernement Pétain.)
Dans sa biographie du général, Jean Lacouture
parle du « rebelle » pour la période 1890-1944.
Le rebelle
doit être condamné. Notre époque est-elle si éloignée de cette situation ?
Le gouvernement Pétain ne peut supporter cette
rébellion. Le 4 juillet 1940, un conseil de guerre réuni au Palais de Justice
de Toulouse le juge pour « refus d’obéissance et incitation des militaires à
la désobéissance » et le condamne à quatre ans d’emprisonnement et
à cent francs d’amende.
Un jugement insuffisant pour le gouvernement qui
veut éliminer ce gêneur. Il le fait inculper. («
L’inculpation » est devenue « mise en examen » en 1993) et juger par contumace par une cour martiale réunie
à Clermont-Ferrand le 2 août 1940. Elle le condamne « à
la peine de mort, à la dégradation militaire et à la confiscation de tous ses
biens présents et à venir, ainsi qu’aux frais envers l’État, pour trahison,
atteinte à la sûreté extérieure de l’État, et désertion en temps de
guerre ».
Comme nos parents et grands-parents, nous vivons
dans « une drôle de guerre » : notre armée guerroie sur deux continents,
patrouille même dans nos rues et y fait usage de ses armes ; notre police
s’épuise à surveiller mille et un « radicalisés » en en laissant d’ailleurs
autant « sous les radars » (Cette expression curieuse est empruntée à la journaliste de
France 2 commentant l’affaire d’Orly au journal de 20 heures du 18 mars 2017) ; nos démocraties se lézardent, laissant le
vent mauvais de l’islamisme se glisser dans nos cités ; des émeutes secouent
régulièrement nos territoires perdus ou plutôt les territoires dans lesquels
nous laissons en perdition des populations que l’État devrait protéger ; des
peuples au Proche Orient, en Asie, en Afrique vivent dans la peur de l’idéologie
islamiste ; le projet Europe vacille ; l’allié turc se dérobe à ses obligations
dans la lutte contre l’État islamique puis accuse des dirigeants européens de «
nazis ».
Une dimension stratégique que l’on recherche en
vain dans les débats de l’élection. Tout cela ressemble
furieusement à une version modernisée de « Tout va bien Madame ma
marquise », ritournelle qui enjolivait les années. Il n’y a pas lieu de
s’alarmer, « nous vaincrons parce que nous sommes les plus
forts, comme le proclamait déjà le président Paul Raynaud en 1939.
Dans ce climat, un candidat à la Présidence, un
seul, semble troubler la fête. Il parle de « Vaincre l
Totalitarisme islamique »,
d’approfondir et diversifier notre politique étrangère au regard de nos
intérêts et de notre sécurité et non de nos passions passagères. Est-ce un
nouveau « rebelle » ? Un factieux ou un résistant en puissance ? Faut-il le
faire taire ?/ JCA
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