Solesmes, l’ancien fief sarthois, comme il convient de dire pour un homme politique. L’ex-candidat va acheter son matériel de jardinage à l’Espace Emeraude de Sablé-sur-Sarthe. Les habitués reconnaissent Penelope au volant de sa Toyota bleue.
Dans la région, les distractions sont rares. Les tourelles du manoir de Beaucé en font désormais partie. On les prend en photo. Et peu importe si les volets du château, acquis en 1993, sont toujours fermés. La demeure ­principale, en pierre blanche, est majestueuse. Autour, des dépendances laissées à l’abandon et 12 hectares de terrain ­bordés par la Sarthe. On peut y naviguer. Au risque d’apercevoir l’ancien Premier ministre sur son ponton, prêt à monter dans sa barque pour partir à la pêche. Quand il n’est pas là, Arnaud, 16 ans, le plus jeune fils, reste avec sa mère. C’est dans ce décor à la « Downton Abbey » que Penelope se sent bien, chez elle.
Surtout quand le temps se gâte pour lui rappeler sa campagne galloise. « C’est chacun chez soi, on ne passe pas pour prendre le café à l’improviste », nous avait prévenus la voisine et amie Marie-Armelle, l’hiver dernier. Une vie de ­châtelaine malgré les pantalons à poches et les vieux tee-shirts ? « Je ne suis qu’une paysanne », répète Penelope depuis ses premières interviews.
Aujourd’hui, l’ex-future première dame patiente dans la file d’attente des commerces où les vendeuses en contrat d’été la reconnaissent à peine. Elle garde ses habitudes au magasin bio. « C’est comme si elle avait toujours habité là », raconte une commerçante qui se souvient de l’époque où elle partageait son temps entre Sablé et Matignon. Mais celle qu’on imaginait en First Lady n’a plus d’obligations. Et François Fillon, pas davantage.
Cent jours de silence. Le 24 avril, au lendemain de son élimination au ­premier tour de l’élection présidentielle, le candidat humilié prenait une dernière fois la parole devant ses pairs du bureau politique des Républicains, pour annoncer qu’il allait « redevenir un militant de cœur parmi d’autres ». Il a quitté le siège du parti très ému. Un pot rapide à son QG de campagne, quelques mots échangés avec les équipes et les bénévoles. Et la liberté… Ainsi s’est écrit le premier jour du reste de leur vie.
Le 24 avril, lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, vers 21 heures, Penelope et François Fillon quittent leur domicile parisien. © Pascal Rostain / Paris Match / Scoop
Depuis, chez les Fillon, on ne s’intéresse plus à la politique. On n’évoque surtout pas cette présidentielle « imperdable »… « Pourquoi voulez-vous qu’on en reparle ? Ce n’est pas tabou mais c’est derrière nous et on a d’autres sujets de conversation », explique Arnaud de Montlaur, un ami financier qui collectait des fonds pendant la campagne. Sa femme, Sybille, est une proche de longue date de Penelope. Elles se sont connues à la ­sortie de l’école Sainte-Clothilde, où leurs enfants étaient scolarisés. Les couples se retrouvent fréquemment pour des dîners à Paris. « Penelope est impressionnante. Elle force le respect », remarque Montlaur. Quant à François... « Il m’appelle régulièrement pour savoir comment je vais », assure Anne Méaux, qui fut sa directrice de la communication et est patronne de l’agence Image 7.
L’ancien candidat a aussi pris des nouvelles de Jérôme Chartier, lui-même battu aux législatives. Il a même dîné avec l’ex-porte-parole et Virginie Calmels, la première adjointe au maire de Bordeaux. Un privilège rare. « Fillon, c’est “survivor”, nous dit-elle. Je ne l’ai pas trouvé si abattu que ça. Il a tourné la page plus vite qu’ Alain Juppé. Il est déjà dans l’après. » Pilier de l’équipe, Bruno Retailleau confirme. Le patron des sénateurs LR l’a régulièrement au téléphone. Les deux hommes ont réglé ensemble la réorganisation de Force républicaine, le microparti du candidat. Mais leur dernière rencontre remonte au 18 juin. « François est venu, le soir, assister aux 24 Heures du Mans. » Le meilleur moment pour les aficionados, mais aussi le plus sûr pour ne pas être vu… « Je l’ai accueilli au stand de la région des Pays de la Loire. Il était avec sa fille, Marie. »

Dans un décor à la « Downton Abbey », il pêche, elle jardine. La vie continue

Beaucoup de ses amis, pourtant, se plaignent de ne pas avoir de ses nouvelles. Il a annulé un dîner avec Valérie Pécresse au début de l’été mais a ­promis un autre rendez-vous, à la fin août. D’autres n’en réclament pas. « Je suis furieux », confie l’ancien conseiller Jean de Boishue qui n’a pas digéré une stratégie jugée suicidaire. « François s’est mis dans la casserole, il a mis de l’eau et il a allumé le gaz. Derrière lui, il a laissé une génération à sac », poursuit-il, assurant cependant qu’il lui conserve une amitié de quarante ans !
Quelques rares déjeuners ou dîners avec des proches, triés sur le volet, quelques SMS aux ex-collaborateurs. François Fillon se désintéresse presque autant de la politique que des politiques… Il a choisi de se reconstruire seul, muré dans son échec. « Les personnes avec qui il a passé le plus de temps, ce sont certainement ses avocats », confie un de ses anciens conseillers.
Mis en examen pour l’affaire d’emplois fictifs de son épouse à l’Assemblée nationale, il est retourné plusieurs fois chez les juges. « Il est sorti assez optimiste de sa dernière convocation. Il a même le sentiment d’avoir marqué des points », raconte une amie. Mais il a dû admettre que la procédure serait longue. Démarrée tambour battant pendant la campagne, elle s’enlise aujourd’hui. Seule bonne nouvelle, elle épargnera Charles et Marie, les enfants, qui ont échappé à la mise en examen. « Il était vraiment soulagé. Penelope aussi », assure Anne Méaux… au point que le « taiseux » a même adressé des SMS à ses amis.
Malgré eux, les Fillon, pourtant si pressés de tourner la page, sont bloqués sur la touche justice. Est-ce la raison pour laquelle l’ancien candidat a repoussé le moment de reprendre la parole ? Et renoncé à écrire, cet été, un livre… Il avait pourtant demandé à son attachée de presse de rassembler tous les documents et les notes de sa campagne, mais aussi de la primaire. Ce qu’elle a fait sur une clé USB qu’il a posée sur son bureau, d’où elle n’a pas bougé. Tous les éditeurs lui ont fait un pont d’or. Mais il préfère attendre. D’autres l’ont devancé. Comme son ex-directeur de campagne, Patrick Stefanini, qui avait démissionné avec fracas après la mise en examen : « Cela me sert de thérapie », nous confie-t-il. Le journaliste d’investigation et auteur de best-sellers Pierre Péan, convaincu par la thèse du complot, s’est lancé, lui, dans une enquête au long cours.

François Fillon planche sur une reconversion dans le business international

Le « Penelopegate » n’a pas fini de faire couler de l’encre, tant il restera comme un tournant dans l’histoire récente. Le parti Les Républicains vient d’ailleurs d’ouvrir le droit d’inventaire en adressant un questionnaire à ses 250 000 adhérents. Parmi les 28 questions, celle-ci : le candidat vainqueur de la ­primaire de la droite a-t-il été éliminé parce que son « projet ne répondait pas suffisamment aux attentes », à cause « du climat des affaires », d’un « manque d’union » ou bien d’une « image pas assez moderne » ? Les réponses risquent d’animer le prochain congrès. Mais, quelles que soient les réponses des militants, quels que soient les déchirements des leaders, que le grand favori, Laurent Wauquiez, l’emporte ou non… François Fillon se tiendra à l’écart.
Depuis la fin du mois de juin, il a soldé les comptes. Il a fait valoir ses droits à la retraite de parlementaire (presque trente-sept ans de mandat) et rendu son siège de député de Paris. A la rentrée, l’ancien Premier ministre coupera son dernier lien avec la politique en abandonnant la présidence de son microparti qui, sous la houlette de Bruno Retailleau et Vincent Chriqui, sera transformé en « club de réflexion politique au service de la reconstruction idéologique des Républicains ». Penelope, conseillère municipale depuis 2014, et membre de la commission Illuminations,  fleurissement, a repris le rythme des réunions mensuelles depuis le 12 juin. Oublié le passé, seul importe l’avenir. A Matignon, François Fillon se rêvait en président de la Fédération internationale de l’automobile. Aujourd’hui, il planche sur une reconversion dans le business international.
Avec l’aide de son ami et avocat Antoine Gosset-Grainville, il a trouvé un job. Les rares proches dans la confidence ont ordre de ne rien dire sur le ­profil du poste et l’identité de l’employeur. Tout juste sait-on qu’il prendra ses fonctions à la rentrée. Alors, cet été, il travaille consciencieusement son anglais. Dans ce domaine encore, l’aide de la Galloise Penelope devrait être précieuse. Comme chaque été, le couple ­passera une partie du mois d’août en Italie avec le frère de François marié à la sœur de Penelope, ainsi qu’une partie de leurs enfants. Histoire de panser les plaies de cette annus horribilis. Et de poursuivre leur vie… hors de la politique.
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