jeudi 10 août 2017

Les futurs déçus du macronisme

On parle déjà de "décrochage" en annonçant la fin prématurée de l'état de grâce. Dans cette affaire, la dimension médiatique est capitale.

Les futurs déçus du macronisme
Dans l'émission "C dans l'air" du 21 juillet consacrée à l'avenir du Front national, l'excellente politologue du CNRS Nonna Mayer pointa, vers la fin, un ingrédient que les autres intervenants avaient oublié de prendre en compte. Celui-ci : après les déçus du sarkozisme et ceux du hollandisme, aurons-nous des déçus du macronisme ? Si c'est le cas, combien seront-ils, et quand vireront-ils de bord ? A l'évidence, cette inconnue sera déterminante dans l'éventuelle remontée du FN. Pour cette raison, et quel que soit leur vote originel, des millions de Français doivent souhaiter que l'actuel président réussisse. C'est quitte ou double. Or, depuis quelques semaines, cela n'en prend pas le chemin. On parle déjà de "décrochage" en annonçant la fin (prématurée) de l'état de grâce. Dans cette affaire, la dimension médiatique est capitale. On s'étonne que les dirigeants (président compris), nantis d'une majorité pléthorique, commettent autant de bévues. Tout se passe comme si le style choisi (verticalité, restauration de la dignité présidentielle, autorité laconique, mise à distance des médias) convenait aux années 1960, mais n'était plus guère praticable aujourd'hui. Hélas, peut-être ! Internet, les réseaux sociaux, la connexion généralisée : tout cela constitue désormais un univers médiatique hyperactif, pour ne pas dire radioactif. Il soumet l'exécutif à une réactivité de tous les instants. Chaque parole, chaque geste est mémorisé et pesé au trébuchet. La "parole présidentielle" s'en trouve banalisée comme elle ne le fut jamais. Quant aux postures, elles sont vite moquées.
Il faut également compter avec un conformisme structurel et versatile. Je pense à cette inclination étrange qui, par-delà les exceptions individuelles, pousse les médias à dire grosso modo la même chose. Jour après jour, sous l'effet d'un pesant panurgisme. La pression de plus en plus forte d'une logique marchande y joue un rôle grandissant. Dans le commerce des choses, l'innovation, le "c'est nouveau, ça vient de sortir", le produit jamais vu bénéficient d'une prime de curiosité. Le marché leur sourit. C'est sur cette curiosité que table la mode consumériste qui se donne pour tâche d'inventer sans cesse de nouveaux désirs. Extraordinairement, toutefois, il en va à l'inverse dans le domaine des idées et de la politique. Cette logique qui gouverne les médias n'est pas sans rapport avec la récurrence d'une angoisse. Le confort intellectuel répugne d'instinct à la nouveauté. Il réclame principalement d'être rassuré sur lui-même. En s'alignant sur cette demande à satisfaire c'est sa fonction , l'appareil médiatique favorise donc mécaniquement le connu, le repérable, le testé. Il court spontanément vers le cliché, le lieu commun, avec autant de hâte qu'il se détourne de toute conjecture trop nouvelle (ou alors, cet engouement est de très courte durée). Dans un premier temps, les médias deviennent un dispositif de répétition, un outil de reproduction à l'identique, une ritournelle. Lorsqu'ils n'obéissent qu'à leur logique naturelle, ils restreignent sans cesse les choix possibles. Or, ce conformisme n'est pas seulement une affaire médiatique. Il concerne la démocratie occidentale elle-même. Cette dernière, lorsqu'elle répugne au nouveau, en vient à rompre avec une exigence critique qui, historiquement, la fondait.
Les questions que tout cela pose ne sont pas subalternes. Elles dépassent largement les petits jeux de rôles contemporains sur la moralité des journalistes, le sérieux d'une corporation, les mensonges répertoriés, etc. Autant d'occurrences assez marginales, grâce auxquelles, exceptionnellement, une intention affleure, une faute est repérable. La question médiatique ne concerne que très accessoirement la conscience malheureuse ou non des journalistes. Elle désigne un "processus" d'une tout autre portée.
On est stupéfait de constater que les penseurs, acteurs et dirigeants du mouvement En Marche ! semblent ne rien savoir de ces métamorphoses. On les décortique pourtant depuis vingt ans. On leur consacre des colloques, des livres, des analyses approfondies. C'est bien pourquoi on a du mal à comprendre la gestion calamiteuse du "cas" Pierre de Villiers, y compris sa relance burlesque par cet étrange porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, qui enfonça son président en croyant le flatter, les annonces fiscales désordonnées, l'impréparation manifeste des réformes, les maladresses à répétition. Cette réinvention de la politique fait irrésistiblement penser aux années gaullistes et pompidoliennes. Cruauté de la mémoire !

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