Élections de la honte : radiations, irrégularités, bugs, les témoignages s’accumulent
Des inscriptions non prises en compte
Tout a commencé quand l’une de nos rédactrices nous a
fait part de son sentiment un peu étrange. En novembre dernier, elle
s’était inscrite sur les listes électorales, via le site service-public.fr avec la confirmation électronique que tout était validé dans les règles.
Inquiète de ne pas voir sa carte électorale arriver, elle prend
contacte avec sa mairie. Finalement, le 22 avril, la veille des
élections, elle apprendra qu’elle n’était pas inscrite sur les listes
électorales suite à des bugs sur le site gouvernemental qui n’avait pas
assuré la transmission aux mairies (voir le document). Une histoire qui
pourrait sembler anecdotique si elle ne faisait pas écho à des
centaines, des milliers de témoignages exprimant la même chose : une
impossibilité de voter au premier tour pour différentes raisons. Suite à
la diffusion de la lettre qu’a reçue notre rédactrice, sur Facebook,
une vagues de témoignages s’est abattue sur notre réseaux. Plus de 5000 commentaires, des centaines d’e-mails, tous témoignant de situations très similaires, uniquement pour notre média.
« Bonjour, j’ai eu le même problème que votre
rédactrice, sans justification écrite. Bien que j’aie effectué toutes
les démarches en temps et en heure, je n’ai jamais reçu ma carte électorale, ni de confirmation de mon inscription dans ma nouvelle circonscription, malgré quatre emails de relance et une assurance que tout était « en route » il y a dix jours. » exprime une lectrice. « Je me suis inscrite sur internet avant le 31 décembre 2016. N’ayant pas reçu ma carte électorale j’ai contacté la mairie qui m’a assuré que je pouvais me présenter au bureau de vote sans ce document.
J’y suis donc allée les mains dans les poches et pleine d’espoir mais
je me suis heurtée à un mur. Personne n’a rien voulu savoir et je suis
repartie dégoutée et extrêmement énervée ».
À l’heure actuelle, il est encore très difficile de
prendre la mesure de l’ampleur de ces inscriptions oubliées du site
service-public.fr. Ce qui est troublant, en revanche, c’est que ce
« dysfonctionnement » était bien identifié et que, pourtant, aucune mesure ne semble avoir été prise pour prévenir les personnes s’étant inscrites sur le site.
À cet instant, 2 jours après les élections, des centaines de
témoignages continuent d’affluer dans nos boites. Un même sentiment est
partagé de tous, le sentiment de s’être fait voler le droit de vote, ce
droit tant chéri par nos institutions républicaines. Peut-on simplement
rétorquer à ces masses d’individus qu’ils sont les malheureuses victimes
de défauts matériels et humains ? De simple statistiques vites oubliées
de l’histoire ?
Des radiations sans notifications
À côté des ces inscriptions disparues dans de
mystérieuses failles du système, il y a le scandale des radiations de
milliers de personnes, sans qu’elles en aient été averties. Et là, les
chiffres ont de quoi faire frémir.
À Strasbourg, 15 000 personnes ont été dans l’incapacité de voter
car elles se sont aperçues le jour même du premier tour qu’elles
n’étaient pas sur les listes. Des cas similaires ont été rencontrés dans
d’autres villes comme Nancy, Clichy, Le Havre, La Queue-en-Brie
(Val-de-Marne), Créteil, Le Mans… Au Mans par exemple, c’est 4079
personnes qui ont été radiées depuis les dernières élections de 2015. 5 000 électeurs radiés pour le Havre, et pas moins de 81 305 électeurs pour le département du Val-de-Marne. Et ceci ne concerne que les régions dont les chiffres furent publiés. Comment expliquer cela ? Pourquoi ces informations ne font-elles pas la une de tous les journaux ?
La plupart de ces radiations ont été effectuées
officiellement pour cause de changement d’adresse. Chaque année les
municipalités sont tenues de mettre à jour leurs listes électorales et
de procéder aux radiations qui s’imposent. Rien d’étonnant, donc… si ce
n’est que, dans beaucoup de cas, les déménagements en questions remontaient à plusieurs années en arrière et que les concernés avaient pu voter à toutes les dernières élections sans être inquiétés.
C’est le cas de Partick L. interviewé par Le Monde à Strasbourg, qui
avait changé d’adresse il y a sept ans mais qui avait pu voter aux
quatre dernières élections dans le bureau de vote rattaché à son ancien
domicile. Sur nos réseaux, des centaines de témoignages vont en ce sens,
parfois parlant de 10 à 15 ans sans déménagement. Pourquoi ce
revirement de situation à l’échelle nationale ? Et surtout, comment se fait-il qu’aucune information ne leur ait été communiquée
à ce sujet ? Une purge de grande échelle aurait-elle pu être menée sans
en informer la population, créant une situation inédite et la surprise
générale pour des milliers de votants ?
Beaucoup de témoignages allant dans ce sens, parfois
même de personnels de mairies, affluent depuis lundi. S’il ne nous est
pas possible d’en citer les centaines répertoriées, quelques cas
symbolisent la problématique. « J’habite dans les Pyrénées Orientales, j’ai toujours habité cette commune, payé mes impôts et voté à toutes les élections. Et hier j’ai été radié des listes électorales sans explication. On m’a refusé l’accès aux urnes et j’aimerais connaître la procédure à effectuer pour pouvoir voter au second tour. » exprime cet internaute dépité.
L’un des témoignages est particulièrement troublant
quant à la raison de ces radiations de masse. Jean (nom d’emprunt) nous
explique « Je travaille en mairie et j’ai participé à la logistique d’un bureau centralisateur. J’ai entendu parler à plusieurs reprises de « purges » des listes afin de faire baisser le taux d’abstention.
Je cite : « On a bien épuré les listes cette année, c’est difficile de
faire mieux sans avoir de représailles. On devrait avoir un taux
d’abstention plus faible que les précédentes » Voilà comment manipuler
les chiffres… » S’il n’y a aucun moyen de vérifier sa déclaration, les faits exceptionnels vont en ce sens et posent nécessairement question.
Un demi-million d’électeurs qui voient double ?
Parallèlement à la question de ces empêchés de vote, environ 500 000 personnes ont été inscrites sur deux listes différentes et ont reçu deux cartes électorales.
Parmi ces cartes, certaines sont destinées à une adresse identique
comme en témoignent les clichés. Avec une forte amende et courte peine
de prison, on admettra que la tentation n’a pas dû germer dans l’esprit
de tous. Pour autant, nous voilà donc encombrés d’un « dysfonctionnement » de plus qui s’ajoute à la liste des irrégularités. Cette problématique est d’autant plus importante qu’aucune mesure supplémentaire n’a été prise pour vérifier le vote unique de chacun
et que le porte-parole du Ministère de l’Intérieur exprime en
conscience qu’il nous faut compter sur l’honnêteté et la peur du
gendarme, en attendant qu’un répertoire unique des électeurs ne soit opérationnel… d’ici 2019
! En attendant, techniquement, rien n’empêchaient ces 500 000 personnes
de voter deux fois si ce n’est la peur de la justice. Mais ceci est
loin d’être la dernière irrégularité qui entache ce vote jugé de tous
historique.
Une élection rendue difficile ou impossible en dehors des frontières
Deux heures d’attente à Montréal, c’est en moyenne ce
qu’ont vécu les ressortissants français pour déposer leurs voix dans
l’urne. À 20h, heure de fermeture, environ 3500 personnes étaient toujours sur place
et des centaines ont dû tout simplement abandonner l’idée de voter.
Même chose à Londres et dans d’autres villes dans le monde entier. À
nouveau, il ne s’agit pas de quelques individus concernés, mais des
milliers de personnes, et autant de votes potentiels. Quand ceux-ci ont
encore le droit de voter…
Car la situation ne fut pas plus enviable pour ceux
qui avaient choisi la solution de la procuration légale. De mauvaises
surprises attendaient également ces personnes un peu partout dans le
monde. En Nouvelle-Calédonie, par exemple, plusieurs centaines de procurations ne sont tout simplement jamais arrivées aux autorités compétentes. France Télévisions 1ère a recensé un florilège de témoignages parmi ces 400 personnes qui n’ont pas pu voter ou faire voter leurs proches. Principalement visés, des étudiants.
À Toulouse également, nombre de personnes n’ont pas pu voter à cause de procurations arrivées trop tard à cause d’un bug informatique, a reconnu la ville. À nouveau, la raison du « bug » indéterminé est avancé À échelle nationale, un groupe Facebook
s’est créé pour recenser les personnes dont la procuration n’a pas
marché. Mais pour beaucoup, déjà, la déception fait place à la
résiliation.
Parmi les nombreux témoignages que nous avons reçus
sur nos réseaux (et nous n’avons pas la prétention de toucher plus qu’un
très petit pourcentage du web français), voici trois exemples qui
attestent de ce bug mystérieux dans la réception des procurations :
« Bonjour, j’ai également été radié des listes
suite à une erreur informatique (petite commune du nord). Aucun courrier
pour me l’annoncer, ils m’ont appelé cinq jours avant le premier tour pour me dire que la procuration n’était donc pas valable et que n’étant pas en France je ne pouvais pas déposer de recours (pas de présidentielle ni de législative donc!) »
« Depuis 10h30 hier matin, je me suis démené pour pouvoir exercer mon droit de vote.
Depuis 10h30 : une bonne quinzaine de coups de téléphone à ma mairie, à
mon bureau de de vote, au commissariat dans lequel j’ai fait ma
procuration, au commissariat général et à ma mère qui était censée voter
pour moi. Et enfin, un aller retour au commissariat où la dernière
parole que j’ai entendue était : « de toute façon dites-vous que c’est mort pour l’instant et que vous ne voterez pas ».
Le commissariat a perdu ma procuration et bien d’autres puisqu’on m’a
impunément dit que de toute façon je n’étais pas la seule et qu’ils en
avaient plein à chercher. Je me trouve donc dans l’incapacité de voter.
Je comprends maintenant ce que c’est de se faire priver de ses droits et
je dois dire que je trouve cela tout à fait scandaleux. »
« Je vis à Barcelone et il y a de cela un mois je
suis allé dans ma mairie où je suis inscrit afin de confirmer que
j’étais bien sur les listes électorales (car je n’avais toujours pas
reçu ma carte d’électeur). La secrétaire me trouve directement sans
aucun problème et me rassure en me disant « Ne vous inquiétez pas,
je vous vois, vous recevrez votre carte d’électeur dans peu de temps ».
Je file au commissariat pour faire la procuration pour ma mère, tout en règle et tout va bien. Vendredi dernier (21 avril) ma mère reçoit une lettre expliquant que la procuration est nulle et que je ne peux pas voter. C’est une lettre qui a été rédigée le 06/04, postée le 18/04 et qui est arrivée le vendredi 21/04 ».
On constate que les témoignages concernent
majoritairement des personnes avec une réelle volonté d’exprimer leur
voix au suffrage. Le choix même du candidat ne rentre pas dans la
substance des réclamations. Le plus souvent, toutes les
démarches légales ont été réalisées dans les règles et le « couac »
semble provenir d’un problème administratif ou informatique, donc de la
responsabilité des autorités compétentes. Il s’agit donc
d’irrégularités manifestes et nombreuses qui émanent du chef d’une
autorité compétente, pourtant garante du bon fonctionnement des
élections. Nombre de déçus se sont tournés par dépit vers les réseaux
sociaux en quête de solutions, et on peut lire un peu partout des posts
d’électeurs déroutés, comme celui de Simon Bigo, sur Facebook.
Et maintenant ?
Il est très difficile d’avoir le recul nécessaire
pour comprendre ce qu’il vient réellement de se passer lors de ce
premier tour des élections présidentielles 2017. Ce que nous savons, c’est qu’une quantité importante de personnes ont réellement été empêchées de voter contre leur volonté. Ce
que nous savons aussi, au regard des témoignages, c’est que ces
« dysfonctionnements » étaient connus des acteurs publiques et qu’il est
difficile de comprendre pourquoi les citoyens n’en ont pas été dument
informés afin de réagir en conséquence. Chacun est en droit de se
demander, à l’heure du progrès technologique que nous connaissons,
comment ces bugs hasardeux ont bien pu se produire d’une manière si
massive ? Le témoignage d’une internaute ne peut qu’exprimer
l’indignation que vivent en ce moment des centaines de milliers de
français dont le droit de vote a été bafoué : « Aujourd’hui j’ai
été indignée parce qu’à l’heure de la 4G, de la fibre, du très haut
débit, de la multiplicité de nos échanges quasi-instantanés, malgré
toutes nos technologie notre système obsolète m’a fait taire, moi comme
des millions d’autres. »
Que faire maintenant ?
Au regard de ces nombreux éléments, on comprend
aisément qu’il ne s’agit pas ici de victoire ou de défaite de tel ou tel
candidat. De telles irrégularités lors d’une élection
présidentielle concernent l’ensemble des citoyens et l’esprit de la
République, tous candidats confondus. Plusieurs pétitions ont
été lancées spontanément par les citoyens. L’une réclame qu’une
commission d’enquête lève le voile sur ce qu’il s’est réellement passé
et pour estimer le nombre de voix volées (ici). Une autre demande dores et déjà que le premier tour des élections soit annulé, à retrouver (ici).
Mais ces pétitions qui tournent en boucle sur quelques pages de réseaux
sociaux militants ne peuvent atteindre le point de viralité sans être
relayées par les médias mainstream déjà focalisés sur le duel Macron/Le
Pen.
Par ailleurs, en cas d’irrégularité manifeste et
démontrable, il appartient légalement aux candidats eux-mêmes d’entamer
les démarches légales. Selon l’article 30 alinéa 3 du décret n°2001-213
du 8 mars 2001, « les candidats (du premier et du second
tour) peuvent, dans le délai de 48 heures, déférer directement au
Conseil constitutionnel l’ensemble des opérations électorales.«
Une période infiniment trop courte pour s’extraire du choc des
résultats et analyser les milliers de témoignages. Si la page de
Jean-Luc Mélenchon n’affiche rien d’officiel, nombre des militants de la
France Insoumise réclament une mobilisation citoyenne en invitant les
personnes à témoigner sur le formulaire de contact du candidat. Les électeurs eux-mêmes peuvent également envisager un procès verbal en cas d’irrégularité sur base du décret n°2001-213 du 8 mars 2001 portant application de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel. À Strasbourg, des dizaines de personnes ont déposé un recours au tribunal d’instance. Toutes les requêtes ont été immédiatement rejetées. Celles-ci ont désormais la possibilité de saisir la Cour de cassation…
Quoiqu’il en soit, cette crise semble faire appel à
une autre question, beaucoup plus fondamentale. Celle de la légitimité
même du système électoral français actuel, manifestement en bout de vie,
totalement dépassé par les réalités de terrain, déconnecté d’une
génération beaucoup plus mobile qu’au siècle dernier et du danger
démocratique que ces irrégularités représentent. Aujourd’hui, alors que
quelques pourcents séparent les candidats en tête, personne ne peut
estimer quel aurait été le résultat du premier tour dans une
configuration où l’ensemble de la population aurait été en mesure de
s’exprimer librement. L’urgence de repenser collectivement un autre
système n’a jamais été aussi grande, car ce suffrage n’inspire ni la
liberté, ni l’égalité, ni la fraternité. Que personne n’oublie ces élections de la honte.
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