ET SI FILLON AVAIT DEJA GAGNE ?
A quatre jours du premier tour de la présidentielle, jamais l’incertitude n’aura paru aussi grande. Le resserrement dans les sondages entre les quatre premiers – Marine Le Pen, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, François Fillon –incite à la prudence. Mais au-delà des résultats en eux-mêmes, l’incertitude sur les sondages est bien présente, à plusieurs titres. Elle est en réalité double : celle due au choix des Français et celle liée aux sondages eux-mêmes. L’incertitude politique s’explique par « la phase de transition » actuelle, selon Emmanuel Rivière, directeur général France de Kantar Public (ex-TNS-Sofres). « Il y a un scénario possible où ni le candidat PS, ni le candidat LR, ne seraient au second tour. Le seul fait que ce soit possible montre bien qu’on est en train de passer d’un ordre politique à un autre. C’est probablement une élection de transition et ça crée une nouvelle incertitude. C’est dur à mesurer, sachant qu’il y a la possibilité d’une forme de réminiscence des structures anciennes », explique à publicsenat.fr le sondeur qui développe son idée dans une tribune publiée sur le site Délits d’opinion. La résistance de François Fillon, notamment dans l’électorat âgé, montre cette « réminiscence » des partis traditionnels. Mais les choses bougent. « Est-ce que nos sondages tardent à mesurer ce qui se passe ? » s’interroge avec franchise Emmanuel Rivière. « On ne sait pas dire à l’heure actuelle s’il y a surestimation ou une sousestimation du phénomène Macron, au regard de l’expérience. C’est un élément de nouveauté » ajoute le responsable de Kantar, selon qui « il faut être prudent et modeste ». Si bien qu’« il y a une vraie incertitude du scrutin » conclut Emmanuel Rivière. Cette « incertitude politique », Jérôme Sainte-Marie, président de l’institut Pollingvox, la résume ainsi : « Les Français peuvent tout simplement changer d’avis et des gens peuvent se mobiliser et faire changer l’ordre d’arrivée ». L’autre incertitude vient des sondages eux-mêmes. Sans faire un énième procès des instituts, les exemples d’écart entre chiffres des sondages et les résultats le jour de l’élection sont nombreux. Comment l’expliquer ? Il y a déjà la fameuse marge d’erreur. Si l’on n’en tient pas compte, on tombe dans un biais de lecture et de compréhension du sondage. Par exemple, selon un tableau publié sur le site de l’Ifop avec son sondage quotidien (le « rolling »), sur un échantillon de 1.500 personnes, la marge d’erreur est de +/- 2 points pour un score autour de 20%. Cette marge d’erreur augmente quand on s’approche des 50%, pour atteindre 2,5 points. Avec les résultats du 17 avril, cela donne Emmanuel Macron (23%), plutôt entre 21 et 25% avec la marge d’erreur, Marine Le Pen entre 20,5% et 24,5%, et François Fillon et Jean-Luc Mélenchon, donnés à égalité à 19,5%, plutôt entre 17,5 et 21,5%. Soit potentiellement Fillon et/ou Mélenchon devant Macron… voir Marine Le Pen. Ce qui donne une lecture complètement différente des sondages. Cette marge d’erreur devrait être annoncée et publiée par les médias à chaque sondage. C’est la loi qui le stipule. Elle n’est pourtant pas toujours respectée. Au grand dam du sénateur PS Jean-Pierre Sueur, auteur, avec le sénateur LR Hugues Portelli, d’une proposition de loi sur l’encadrement des sondages. (…) Pour le sénateur du Loiret, « quand on donne les chiffres absolus, on trompe toujours les gens. Il faut donner des fourchettes, mais je sais bien que c’est un problème commercial. Mélenchon qui passe devant Fillon, c’est haletant. La vérité, c’est qu’ils sont entre 17 et 21 ». Sondeurs et surtout journalistes préfèrent présenter la politique vue comme une course de petits chevaux en somme, plutôt que des tendances. (…) Autre biais : la représentativité des sondages. La méthode la plus généralement utilisée aujourd’hui est celle des sondages par Internet. Une pratique qui s’explique « pour des raisons de rapidité, de coût et de qualité qui est aussi bonne » assure Jérôme Sainte-Marie, « on peut avoir un énorme échantillon beaucoup plus facilement ». « Les sondages en face à face donnent toujours de bons résultats au niveau politique, car les sondés peuvent expliquer leur vote. Mais c’est long et cher et de plus en plus difficile à réaliser » ajoute le sondeur. « Les sondages en ligne sont politiquement plus représentatifs » confirme Emmanuel Rivière. Son institut s’y est converti pour les législatives de 2012. « Les résultats sont meilleurs, notamment sur le vote FN » explique le directeur général de Kantar Public, car « quand on répond par téléphone, on peut préférer ne pas répondre à un inconnu, on raccroche, et on peut se retrouver avec moins de sympathisants FN dans les enquêtes par téléphone ». Ce qui ne serait pas le cas dans les enquêtes en ligne, encore plus anonymes. Mais selon Nicolas Kaciaf, maître de conférences en science politique à Sciences Po Lille, « il y a des biais avec les sondages en ligne. Par exemple, l’échantillon d’âge risque de ne pas être représentatif sur les personnes âgées », moins connectées. Elles sont pourtant nombreuses à voter. « Il est compliqué de constituer un panel, car il y a beaucoup de conditions. Il faut avoir un accès fréquent à Internet, disposer d’un mail, tout un ensemble de conditions qui fait que la représentativité n’est pas garantie. Mais elle ne l’est plus depuis longtemps par téléphone non plus » ajoute le politiste. « Il n’y a pas de solution miracle », souligne Nicolas Kaciaf, « il y a un problème de représentativité qui touche les sondages en général, quelle que soit la méthode de composition de l’échantillon. Ou sinon il faudrait des techniques très lourdes, comme en utilise l’Insee ». Les sondeurs ne nient pas cette question de la représentativité. Jérôme Sainte-Marie : « Il y a le problème de la marge d’erreur, mais qui ne joue pas tant que ça. Le problème est plutôt un problème de recueil : est-ce qu’on couvre bien la population ? Est-ce que les populations les plus populaires, qui pourraient se mobiliser, sont bien couvertes ? On pourrait avoir un phénomène qui renforce Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen ». Le sondeur de Pollingvox ajoute : « Plus vous êtes intégré socialement, plus vous êtes représenté dans les échantillons des instituts. Moins vous êtes socialisé, moins vous êtes représentés dans les sondages. Par exemple, il y a toujours le risque qu’on ait des ouvriers d’un type particulier et qu’ils ne soient pas totalement représentatifs des ouvriers ». « Pour les plus âgés, c’est plus compliqué au-delà de 75 ans sur Internet. On peut s’interroger sur leur représentativité » confirme de son côté Emmanuel Rivière. Pour répondre à ce biais, les sondeurs ont trouvé la solution : payer, ou plutôt rétribuer les sondés. Une technique qui semble étonnante, pour ne pas dire contestable. Aux yeux des instituts de sondages, elle est justifiée et maîtrisée. « Toutes les enquêtes ont des biais. Mais celui-ci est moins fort qu’avoir uniquement dans nos panels ceux qui adorent répondre aux sondages ou ceux qui aiment la politique » répond Emmanuel Rivière. Autrement dit, ce serait un moindre mal (… ) Les instituts peuvent sous-traiter le recueil des réponses à des entreprises comme « Maximiles », qui développe des panels de fidélisation. Dès la page d’accueil de son site, l’entreprise annonce la couleur : « Vos habitudes vous rapportent », « votre avis récompensé ». En « répondant à des sondages », on cumule des points qu’on échange « contre les cadeaux de (son) choix ».
François Vignal
Il y a une très forte poussée de popularité, une énorme dynamique pour François Fillon sur l’application GOV, qui est d’ailleurs mesurée par d’autres outils comme FILTERIS […] et je crois en effet que François Fillon sera au second tour de l’élection présidentielle.
Bobby Demri
Je m’appuie sur deux composants. Le premier considère que la dynamique d’échange d’arguments au sein de petits groupes d’individus obéit à une logique rationnelle. Or, il peut arriver que les arguments pour et contre se neutralisent. C’est là qu’intervient le deuxième composant, qu’on pourrait qualifier de levier déterministe de notre inconscient collectif. C’est un biais cognitif ou un préjugé parmi ceux du groupe qui s’active pour sélectionner « naturellement » un des choix, de façon consciente ou inconsciente. Par exemple… Quatre individus discutent d’une réforme de leur cadre de vie. Si deux la soutiennent et deux s’y opposent, le groupe ne sait pas quoi choisir. Dans ce cas, le biais cognitif qui va s’activer est « dans le doute, mieux vaut s’abstenir ». Finalement, tous rejettent la réforme. Pour pouvoir appliquer le modèle, il faut à chaque fois identifier les préjugés qui pourraient être activés en cas d’impuissance de la raison. (…) Le modèle intègre actuellement trois types d’individus : les rationnels, qui peuvent basculer d’un côté ou de l’autre, les inflexibles qui ne bougent pas, et les contrariants qui s’opposent aux choix majoritaires. Actuellement je dois, en combinant différents sondages et ma perception des préjugés potentiellement activables, décider lequel de ces trois ingrédients est déterminant dans une campagne d’opinion donnée. (…) Invité aux États-Unis en février 2016, j’y ai compris que Trump « innovait ». Quand il lançait ses affirmations choquantes, il réveillait des préjugés endormis ou gelés, et cela bouleversait la hiérarchie des préjugés mobilisés en cas d’hésitation. Certains préjugés jouaient contre lui, mais il réussissait à en réveiller d’autres qui lui étaient favorables. Du point de vue de la dynamique, c’était simplement génial. (…) Ce sont paradoxalement les indignés, qui en provoquant les débats contre Trump, ont finalement permis à de nombreux opposants de basculer en sa faveur. Aux États-Unis, le fait que la campagne ait été très longue a clairement joué pour Trump en créant de plus en plus de cas de doutes collectifs. Après chaque chute, sa popularité remontait. (…) Il fallait absolument qu’il continue sa dynamique provocatrice mais en modifiant le positionnement des préjugés à activer. Alors que, pour les primaires, il avait activé des préjugés présents chez des républicains, pour la présidentielle, il fallait qu’il touche des préjugés présents à la fois chez des républicains et des démocrates. Ce qu’il a réussi entre autres avec le sexisme. À l’inverse, Obama a essayé de remettre en avant le préjugé selon lequel il n’était « pas fait pour le job », défavorable à Trump, mais sans succès. (…) Fin 2016, je considérais que son élection [Marine Le Pen] était passée de impossible à improbable, c’est-à-dire possible. Depuis un mois, son élection est devenue très possible. Une abstention différenciée non excessive peut la faire gagner malgré un plafond de verre toujours actif. (…) [L’abstention différenciée] C’est l’écart entre l’intention de vote déclarée dans les sondages et le vote effectif. Je démontre par exemple que si 56 % des électeurs annoncent qu’ils vont voter contre Marine Le Pen, ils ne le feront pas autant qu’ils le disent. Car, pour la première fois, des électeurs ont une aversion forte à l’égard de celui qui sera probablement en face d’elle (Macron ou Fillon). Si ne serait-ce que 30 % des électeurs qui ont annoncé qu’ils voteraient contre Marine Le Pen ne le font pas et choisissent l’abstention, cela suffira à la faire gagner. Grâce à cette abstention différenciée, elle passerait de 44 % d’intention de vote à 50,25 % des suffrages exprimés dans l’hypothèse où 10 % seulement de ses propres électeurs s’abstiennent. (…) Dans mon modèle, François Fillon a un avantage décisif sur Macron : il peut s’appuyer sur ces électeurs inflexibles qui font la différence. Macron semble ne pas en avoir beaucoup. Dans certains cas de figure, mon modèle montre qu’il suffit d’avoir plus de 17,16 % d’inflexibles pour passer la barre des 50 % des suffrages exprimés face à un candidat qui n’en aurait pas. Et Fillon a un socle qui se situe précisément autour de cette valeur seuil. Mais est-il au-dessus ou en dessous ? Il suffira d’une légère variation soit pour qu’il remonte inexorablement et atteigne le second tour soit pour qu’il perde toute chance d’être qualifié.
Serge Galam
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