mercredi 19 avril 2017

Un constitutionnaliste s’exprime sur l’affaire Fillon

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Dans le Figaro Magazine, Charles Jaigu a interviewé un constitutionnaliste, Dominique Chagnollaud, président du Cercle des constitutionnalises et professeur de droit à l’université Paris II. Voici cet interview :

« Cette procédure piétine plusieurs principes constitutionnels ! »

Selon le constitutionnaliste, l’« assassinat politique » que
dénonce François Fillon recouvre « une part de vérité » .

Dominique Chagnollaud
Dominique Chagnollaud
Le Figaro magazine : Les magistrats sont-ils fondés à mettre en examen François Fillon le 15 mars quand la date limite de dépôt des candidatures est le surlendemain ?
Dominique Chagnollaud : En droit, ils sont fondés à le faire. Mais on ne peut que s ‘étonner de leur empressement. Depuis le début, la rapidité des juges est très impressionnante. Je rappelle l’enchaînement des faits : le parquet national financier (PNF) s’est saisi en quelques heures de cette affaire. En théorie, il doit consulter au préalable le parquet de Paris, ce qui prend toujours un peu de temps. Mais cette fois-ci, la consultation a été extrêmement rapide. Ensuite est intervenue la convocation tout aussi rapide de François Fillon, puis une instruction très vive. Finalement, le parquet a renvoyé le dossier à un juge d’instruction. Ce dernier aurait pu prendre le temps de procéder à des investigations supplémentaires. Mais il préfère convoquer dans l’urgence le candidat deux jours avant la date limite du dépôt des candidatures.
Fillon parle d’une tentative d’assassinat politique. L’observation des conditions dans lesquelles il est mis en cause lui donne-t-elle raison ?
L’expression est forte, mais elle recouvre une part de vérité. Rappelons d’abord que depuis le début de l’enquête du PNF, le candidat n’a pas eu accès au dossier. Il ne peut se défendre. il lui faudrait donc attendre le 15 mars pour qu’il puisse avoir accès au dossier, à partir du moment où il aura été mis en examen.
Mais cela ne fait pas un assassinat politique pour autant …
Cette procédure piétine aussi plusieurs principe constitutionnels.
  • Le premier est le principe d’autonomie des assemblées parlementaires. Car le contrat conclu par un député est un acte non détachable de ses fonctions.
  • Le deuxième principe, et j’y insiste, est celui d’égalité devant la justice. Dans cette présidentielle, tous les candidats ne sont pas égaux devant le droit et la justice. En effet, à la suite de la publication d’un livre sur l’utilisation éventuelle de fonds du ministère des Finances par Emmanuel Macron, aucune enquête n’a été déclenchée.
Obeaucoup souligné que le parquet national financier n’étaipas compétent pour se saisir ddossier Fillon.
Le PNF a été créé pour lutter contre la grande délinquance financière. Peut-onsérieusement comparer les affaires Panama Papers ou même Cahuzac avec la question d’un emploi qui serait présumé fictif ? Cette différenciation de traitement aurait dû conduire le PNF à laisser le parquet de Paris agir. Ce dernier l’aurait peut -être fait, mais pas aussi vite. Il aurait certainement attendu.
N‘y avait-il pas un usageaparquede Paris etout casde respecteune « trêve » ?
Le mot « trêve » n’est pas le bon. Mais le précédent procureur de Paris, Jean-Louis Marin, avait théorisé dans plusieurs affaires un principe de « retenue » de la justice pendant que se déroule le suffrage universel. On peut regretter le manque de discernement des magistrats qui n’ont pas tenu compte de l’impact du calendrier judiciaire sur l’élection présidentielle.
Cette retenue a-t-elle été de mise auparavant ?
Il est arrivé que le parquet de Paris fasse preuve de retenue pour ne pas détourner l’élection de son sens et ne pas placer les candidats dans une situation d’inégalité totale. Souhaitons que le Conseil constitutionnel le fasse valoir dans ses observations futures.
Devrait-on être intouchable dès lors qu’on est candidat à une élection ?
Non, mais poursuivre un candidat tant que sa culpabilité n’a pas été démontrée, c’est aujourd’hui le rendre présumé coupable aux yeux de ceux qui y ont intérêt, et ils sont nombreux. Il vaut donc mieux avoir ouvert une enquête en amont des élections.
Le PNF est-il aux ordres du gouvernement ?
L’affirmer ainsi est peut-être brutal.

Mais il est sidérant qu’une affaire de ce type soit déclenchée par une autorité judiciaire qui n’est pas considérée comme indépendante selon les termes de la Cour européenne des droits de l’homme car elle a été nommée et constituée par le gouvernement en place.

Ce parquet national financier a-t-il été bien accueilli par les magistrats ?
La Cour de cassation et le procureur de Paris s’étaient étonnés de la latitude d’action considérable de ce parquet. ll est certes indispensable dans le cadre de la grande délinquance financière mais on voit mal en quoi sa diligence extrême se justifie dans ce cas.
La violation du secret de l’instruction n’entache-t-elle pas également la procédure engagée contre Fillon ?
Plus personne aujourd’hui ne s’en émeut. On trouve normal de la lire dans les journaux, surtout quand elle est à charge. Le candidat pourrait en tout état de cause engager une action contre l’Etat en application de l’article L.141- 1, du code de l’organisation judiciaire en réparation du dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice au cas de faute lourde. En effet, la violation du secret de l’enquête ou de l’instruction constitue un fonctionnement défectueux du service de la justice.
Vous avez évoqué l’autonomie du pouvoir législatif. Cela veut-il dire que les parlementaires se protègent les uns les autres ?
C’est en tout cas une règle fondamentale de la séparation des pouvoirs ! Par ailleurs, il est sans précédent depuis 1958 qu’on poursuive un parlementaire pour l’emploi d’un membre de sa famille. Je note également que le déontologue, nommé par le président actuel de l’Assemblée nationale, a estimé que François Fillon s’était conformé aux règles et principes en vigueur tant pour la rémunération de son épouse que pour la création de sa société. Il n’a décelé aucun conflit d’intérêts et indiqué qu’il n’était jamais intervenu dans les projets de lois liés à l’activité de sa société, par exemple lors de la discussion sur la loi du 30 décembre 2014.
Si on laisse de côté le présumé emploi fictif de son épouse et de ses enfants, il reste la généreuse rémunération de sa femme par la Revue des Deux Mondes …
Cela vise son épouse, pas le candidat. Il faudrait donc démontrer un trafic d’influence. Mais imaginons qu’il ne reste que cette infraction éventuelle, faudrait-il écraser une mouche avec un éléphant ?
Propos recueillis par Charles Jaigu.

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