jeudi 20 avril 2017

"Flou", "creux", "vide"... Les critiques contre Emmanuel Macron sont-elles justifiées ?

"Vous avez un talent fou, vous arrivez à parler sept minutes, je suis incapable de résumer votre pensée, vous n'avez rien dit, c'est le vide absolu, sidéral !" L'attaque, signée Marine Le Pen lors du débat à cinq sur TF1, le 20 mars, résume ce que beaucoup, à droite comme à gauche, reprochent à Emmanuel Macron dans cette campagne.
A l'approche du premier tour de l'élection présidentielle, le procès en inconsistance se poursuit contre Emmanuel Macron, un "candidat clignotant" pour Benoît Hamon, "creux comme un tambour" selon Nicolas Dupont-Aignan, "toujours au milieu du gué" aux dires d'Eric Woerth… L'ex-ministre de l'Economie est-il vraiment le chantre du "marketing du vide" dépeint par François Fillon ? Tentative de réponse.

Oui, il est trop souvent abstrait

Qu'a-t-on retenu du premier grand meeting de campagne d'Emmanuel Macron, en décembre, à Paris ? Une mesure explosive ? Une annonce fracassante ? Non : une vocifération déclamée par un candidat habité, devant une foule en transe, devenue culte sur les réseaux sociaux : "Ce que je veux, c'est que vous, partout, vous alliez le faire gagner parce que c'est notre projeeeeet !"

Emmanuel Macron le dit lui-même : "La politique, c'est mystique. (...) C'est tout mon combat. C'est une erreur de penser que le programme est le cœur d'une campagne", confiait-il au JDD courant février pour justifier, à l'époque, son absence de programme. Depuis, il en a dévoilé un (début mars) mais l'ancien ministre de l'Economie n'en reste pas moins adepte de grandes envolées lyriques ou philosophiques, parfois compliquées, voire franchement incompréhensibles.


Dernier exemple en date : au cours d'un discours sur l'enseignement supérieur, vendredi 14 avril, Emmanuel Macron a avoué lui-même ne pas en comprendre certains passages, écrits par son équipe. La faute à un vocabulaire trop jargonneux.
Sur les plateaux télé, face à des questions qui appellent des réponses concrètes, on voit souvent Emmanuel Macron s'embarquer dans de longues tirades, entrecoupées de la formule "et en même temps". Comme si, avant de livrer son verdict, l'ancien étudiant en philosophie se devait d'en passer par le triptyque "thèse, antithèse, synthèse".
"Ce qu'on attend d'un futur président, ce n'est pas forcément un catalogue de mesures, c'est d'abord qu'il dise où il a envie de nous embarquer. Lui, il a l'exigence intellectuelle d'expliquer aux gens la société telle qu'il la perçoit", défend pour sa part l'ex-juppéiste Aurore Bergé, qui a rallié En marche !. Une démarche louable, mais qui nécessiterait peut-être de se montrer plus accessible.

Oui, son positionnement politique est ambigu

Un peu de gauche, un peu de droite, ou bien ni de gauche ni de droite, héritier du quinquennat de Hollande sans l'assumer vraiment… Emmanuel Macron a un positionnement politique difficile à cerner. "Moi, je suis socialiste, et je l'assume", disait-il début décembre 2014 devant un parterre de chefs d'entreprise, avant de dire exactement l'inverse au Puy du Fou en août 2016, au côté de Philippe de Villiers.

Ses adversaires ne manquent pas de souligner son inconstance. "Je ne comprends pas comment on peut aller au Puy du Fou chez Monsieur Philippe de Villiers faire son éloge, ensuite prendre le train, aller à Nevers, faire l'éloge de François Mitterrand, puis reprendre le train aller à Chanonat faire l'éloge du président Giscard d'Estaing, recevoir entre deux voyages et escales le soutien de Jean-Pierre Raffarin, et les critiques de Gérard Larcher, développait le socialiste Arnaud Montebourg en janvier. Personne n'y comprend rien."
Avec ses soutiens hétéroclites venus d'un peu partout, Macron prête le flanc aux critiques. Quelle est la cohérence d'un attelage qui va de l'ancien leader communiste Robert Hue à l'ex-conseiller de Nicolas Sarkozy, Alain Minc ? Et lorsqu'il assure ne vouloir confier de portefeuille à aucun ministre de François Hollande, il louvoie sur le sort de Jean-Yves Le Drian, l'un des plus proches de l'actuel chef de l'Etat…
"Les gens se demandent ce qu'il veut, qui il est, et où il veut aller. Pour François Fillon ou pour Benoît Hamon, les interrogations sur le programme sont moins importantes, pourtant ils sont tout autant flous", analyse sur RMC le journaliste François-Xavier Bourmaud, auteur de Macron, l'invité surprise (éd. L'Archipel).
La droite et la gauche, les gens savent ce qu'ils veulent faire depuis toujours. Macron, comme on ne sait pas où le situer, on ne sait pas du tout où il veut aller. Donc l'exigence sur son programme est beaucoup plus forte.
François-Xavier Bourmaud
sur RMC
Dans un paysage politique construit depuis la Révolution française autour d'un clivage gauche-droite, son positionnement apparaît nécessairement flou. Mais "quand la gauche dit qu'il est trop à droite et que la droite dit qu'il est trop à gauche, cela prouve bien que leur référentiel n'est plus le bon", rétorque à franceinfo Aurore Bergé. L'avenir dira si son pari de briser ce clivage séculaire est réaliste ou pas.

Oui, il hésite sur les sujets dont il n'est pas spécialiste

Les thèmes régaliens et sociétaux ne sont pas la tasse de thé d'Emmanuel Macron. Il en a fourni la preuve tout au long de la campagne, multipliant gaffes et imprécisions, comme le montrent ces quelques exemples.
Pendant plusieurs mois, la position d'Emmanuel Macron sur le cannabis est restée floue. En témoignent deux interventions en apparence opposées : "Il est vain de pénaliser systématiquement la consommation de cannabis", écrit-il en novembre dans son livre Révolution. "Je ne crois pas à la dépénalisation des 'petites doses'", affirme-t-il en février dans Le Figaro. Il faut l'explication de texte de son entourage pour comprendre réellement son point de vue, qui consiste à mettre des amendes plutôt qu'à renvoyer devant les tribunaux.
Sur la colonisation aussi, Emmanuel Macron a tenu un double-langage. Il a créé une vive polémique en février, évoquant "un crime contre l'humanité". Une position surprenante car il avait suggéré l'inverse en novembre, affirmant que la colonisation française en Algérie avait favorisé "l'émergence d'un Etat, de richesses, de classes moyennes". Lors de son meeting de Toulon, il a demandé "pardon" aux harkis et aux pieds-noirs qu'il a pu froisser, tout en maintenant ses propos...
Mêmes allers-retours sur le mariage pour tous : d'un côté, il se dit favorable à la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes, une position qui va plus loin que celle votée dans le cadre de la loi Taubira. De l'autre, il déclare que les opposants au mariage homosexuel auraient été "humiliés" pendant le quinquennat Hollande. Comprenne qui pourra.

Non, il est en phase avec "la complexité du monde"

Marine Le Pen veut sortir de l'UE et de l'euro, François Fillon compte administrer une sévère potion libérale à l'économie française, Jean-Luc Mélenchon parie sur une relance à 273 milliards d'euros… Autant de programmes de rupture qui suivent des caps très clairs, mais dont les conséquences, potentiellement énormes, restent des points d'interrogation.
Emmanuel Macron, lui, veut poursuivre la direction prise par François Hollande à partir de 2013 avec sa politique de l'offre, mais en allant plus loin. Avec ses mesures, qui n'impliquent pas de changements radicaux, l'ancien ministre, que les Français ont déjà vu à l'œuvre au gouvernement, avance en terrain connu. "C'est le seul à ne pas proposer un grand saut dans l'inconnu", plaide un de ses partisans.
Les autres semblent participer au concours Lépine de la mesure la plus irréaliste. C'est bien pour gagner une primaire, mais pas pour proposer un projet sérieux. Il est plus difficile d'être dans la modération que dans l'excès.
Aurore Bergé
à franceinfo
Pour la députée PS Corinne Erhel, macroniste de longue date, son programme n'est pas flou, mais simplement équilibré. "Il veut créer de l'activité économique tout en assurant plus de protections individuelles. Son projet marche sur les deux jambes, estime-t-elle. La classe politique est attirée par des discours simplistes et a du mal à comprendre dès que l'on introduit un peu d'équilibre. Or, le monde est par essence complexe."
Face aux critiques, Emmanuel Macron a décidé d'assumer pleinement ce crédo. Lors de son meeting à Bercy, lundi, il a évoqué lui-même le tic de langage – "et en même temps" – qui lui est tant reproché, et promis qu'il continuerait à l'utiliser : "Ça signifie simplement qu'on prend en compte des impératifs qui paraissaient opposés mais dont la conciliation est indispensable au bon fonctionnement d'une société. Ça veut dire que je choisis la liberté et l'égalité, la croissance et la solidarité, l'entreprise et les salariés..."

Non, les programmes des autres candidats sont tout aussi imprécis

Malgré les critiques qui s'abattent sur Emmanuel Macron, le flou n'est pas l'apanage du candidat d'En marche !. Chez ses concurrents aussi, les imprécisions sont légion. La réforme des retraites voulue par François Fillon comporte de nombreuses zones d'ombre, note ainsi Le Monde, qu'il s'agisse du calendrier, de l'âge de départ à taux plein, de l'alignement des régimes du public et du privé ou de la prise en compte de la pénibilité.
Du côté de Marine Le Pen, les contours de la taxe qu'elle compte imposer sur les produits importés restent très flous, notent Les Echos. Quant au chiffrage de son programme, il est particulièrement peu précis, notamment en ce qui concerne le montant des économies permettant de le financer, relève Libération. Et que dire du revenu universel de Benoît Hamon qui a, depuis la primaire de la gauche, été maintes fois amendé, au point de n'avoir plus d'universel que le nom ?

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