D’ormesson : Macron n’a pas de socle. Il vit de la chute des autres.
Voici une tribune politique signée de Jean d’Ormesson, parue hier dans le Figaro Premium. Il s’agit, loin de la cacophonie médiatique actuelle, d’une réflexion sur la situation politique actuelle et sur les évolution encore possible dans les scores des différents candidats.
Jean d’Ormesson au Figaro : pourquoi François Fillon n’a pas perdu
L’écart qui sépare Macron et Fillon dans les sondages ne peut que se resserrer, argumente l’académicien.
Obscure jusqu’à la confusion, traitée d’inouïe, de jamais vu, d’invraisemblable par une presse en transes, la situation politique en France, à quelques jours d’une élection décisive, prend soudain une allure de simplicité biblique.
Il y a d’abord une extrême droite et une extrême gauche très puissantes. À elles deux, avec, à leur tête, deux figures charismatiques, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, elles représentent presque la moitié du corps électoral. Entre un Français sur trois et un Français sur quatre vote Le Pen. Près d’un Français sur six vote Mélenchon. En tout, autour de 40 % de la population française.
Le reste, soit un peu moins de 60 %, est partagé – inégalement – entre ce qu’on appelait il y a encore quelques semaines la droite et la gauche. Ou plutôt la droite et les gauches. Entre Macron, Fillon et Hamon. L’intéressant est qu’en quelques mois, en quelques semaines, la droite s’est effondrée et la gauche a explosé.
Hier se déroulaient des sortes d’assises ou de congrès, plutôt contestables, qu’on appelait des primaires et qui paraissent déjà appartenir à un passé révolu. Après une primaire réussie, la droite semblait assurée d’une victoire annoncée. Elle prenait successivement les visages de Sarkozy – une évidence -, de Juppé – c’était sûr -, de Fillon – c’était réglé d’avance. Et puis, surgissait la catastrophe légale, juridique, morale et la droite dégringolait. Après une primaire ratée, la gauche, déjà éprouvée par cinq ans de Hollande, volait en éclats. Entre la droite et la gauche, contre la droite et la gauche, surgissait un triomphateur, un phénix, l’idole des temps nouveaux: Macron.
Emmanuel Macron était le triomphe de l’oxymore. Il était de gauche, mais il célébrait Jeanne d’Arc au côté de Philippe de Villiers. Il était socialiste, oui, oui, mais il n’était pas socialiste, non, non. Il rassemblait autour de lui Dominique de Villepin et Robert Hue, Alain Madelin et Dany Cohn-Bendit, sans parler de l’ineffable Bayrou qui, après avoir voté pour Ségolène Royal et pour François Hollande, lui apportait en grande pompe le soutien du centre droit. Valls mettait la touche finale en se séparant de Hamon pour rejoindre Macron.
Incarnée par François Fillon, la droite morale et moraliste souffrait beaucoup. Fillon s’était débarrassé de Sarkozy en évoquant le général de Gaulle et le spectre de la mise en examen. Il avait craché en l’air pour se faire mouiller. Alimentées par une presse qui passait le relais à une justice empêtrée dans la politique, les révélations successives tombaient comme à Gravelotte. François Fillon manœuvrait en maître contre ses rivaux, contre Sarkozy, contre Juppé, mais sa popularité fondait comme neige au soleil. La droite s’était construite en opposition aux échecs répétés de Hollande. Son discrédit rendait des forces à une gauche vacillante. L’ennui est que, malgré les efforts de Manuel Valls et de quelques autres, le Parti socialiste s’effondrait. Fillon était déconsidéré et Hamon se révélait impuissant. Macron se préparait à régner.
Intelligent, séduisant, incertain, contradictoire, un peu frêle, Emmanuel Macron est au plus haut. Il gagne sur tous les tableaux. Quand on gagne sur tous les tableaux, le risque est de perdre sur tous les tableaux. Après ces rappels du passé, regardons un peu vers l’avenir. C’est parce qu’il est si haut qu’il va descendre un peu.
Le Pen a un socle. Mélenchon a un socle.
Surprise: Fillon a un socle. Un socle ébréché, mais un socle tout de même.
Macron n’a pas de socle. Il vit de la chute des autres.
Il est très douteux que Benoît Hamon réussisse à rebondir. On le quitte plutôt qu’on ne le rallie. Il a échoué à l’emporter sur Mélenchon. Il ne fera pas beaucoup d’ombre à Macron.
Le danger pour Macron vient d’ailleurs. Il vient de son propre succès. Le succès a nui à Sarkozy, il a nui à Juppé, il a nui à Fillon, il a nui à Hamon. On parierait volontiers qu’il va nuire à Macron.
Emmanuel Macron a fait toute sa carrière politique à l’ombre de François Hollande. Hollande l’a choisi, l’a choyé, l’a protégé. Macron a sans doute trahi Hollande, mais il n’a jamais cessé de le servir et de l’imiter. La politique de Hollande, si largement rejetée par une majorité écrasante de Français, c’est Macron qui l’a mise en œuvre comme conseiller économique, puis excusez du peu, comme ministre de l’Économie. Il a quitté à la dernière minute le Hollandais en train de couler – mais voilà qu’il reconstruit autour de lui, de façon hallucinante, qu’il le veuille ou non, le décor auquel il a fait semblant de se dérober. Il y avait, dans la lignée de Hollande, une constellation Valls, avec Le Drian et quelques autres, et avec Macron. Il y a maintenant, toujours dans la lignée de Hollande, une constellation Macron, avec Valls, avec Le Drian et avec quelques autres. Hollande était le maître que Macron a servi avant de le trahir. Mais Macron continue à le servir après l’avoir trahi. Brutus assassin est toujours aimé de César. Macron est la revanche et la consolation de Hollande.
Les Crises.fr – Best of Macron
S’il fallait parier, on dirait que Mélenchon et Hamon vont bouger assez peu – Mélenchon assurément vers le haut à cause de son talent et Hamon vers le bas à cause de sa situation. Marine Le Pen va rester stable et puissante – avec peut-être une légère baisse: les Français sont plus attachés qu’on ne le croit à l’Europe et à l’euro et ils hésiteront, au dernier instant, à rompre avec ce qui reste l’ultime et le seul grand projet de notre époque. Ceux qui vont bouger plus ou moins fortement, c’est Macron et Fillon. Macron vers le bas et Fillon vers le haut.
Macron a pris des voix en grand nombre à un Parti socialiste en miettes et à un Fillon affaibli par les affaires. On va découvrir peu à peu que le modèle de Macron, c’est Hollande. Ce souci de concilier les contraires, cette façon de se dire à gauche en agissant à droite, ces divisions permanentes contre soi-même. Il va perdre des voix de droite qui s’étaient jetées vers lui par désespoir. Et il va perdre des voix de gauche qui crient déjà à la trahison.
Fillon va finir par tirer bénéfice des attaques d’une violence inouïe qu’il a subies pendant des mois
Fillon, toujours ferme, peut-être trop ferme, toujours droit dans ses bottes trouées, toujours implacable malgré ses malheurs, va finir par tirer bénéfice des attaques d’une violence inouïe qu’il a subies pendant des mois. Il n’est pas sûr qu’il ait agi contre les lois, il n’est pas sûr qu’il ait commis des fautes. Il a commis des erreurs, ce qui est déjà fâcheux pour un homme d’État. Ces erreurs – et c’est méritoire -, il les a reconnues devant un peuple français légitimement indigné. Mais peut-être indigné aussi du traitement subi par le seul opposant de poids à la politique de Hollande.
Ce traitement va d’accusations ridicules à des soupçons assez graves. L’histoire des cadeaux est absurde. Les affaires de penderie ont quelque chose de honteux. Il n’est pas impossible que le choix de Mme Christine Angot pour lui porter contradiction dans une célèbre émission politique ait révulsé pas mal de téléspectateurs. Le jeu des soupçons est compliqué. D’un côté, les soupçons sur la façon d’agir de François Fillon ; de l’autre, les soupçons sur une machination politique.
Ne parlons même pas de «cabinet noir». Ce qui est certain, c’est qu’une certaine manipulation du temps politique, une évidence de précipitation peuvent donner lieu à interrogations. La France a toujours connu, sous tous les régimes, une tentation de justice politique. L’affaire Fouquet sous Louis XIV: Fouquet était sans doute coupable ; l’était-il beaucoup plus que Mazarin, si habile, ou Colbert qui l’attaquait? Fouquier-Tinville ou Carrier, sous la Terreur, étaient convaincus d’incarner la morale et d’agir pour le bien de la nation. Le général de Gaulle lui-même n’a pas reculé devant les tribunaux militaires et une forme assez poussée de justice politique. Une magistrature qui est passée par l’épisode regrettable du «mur des cons» peut prêter aux soupçons.
François Fillon n’est pas blanc bleu. Il n’est pas l’ange exterminateur dont il a trop souvent endossé l’uniforme. Mais il n’est pas exclu que les charlatans de vertu qui n’ont cessé de l’accabler ne valent pas mieux que lui.
Le candidat de la droite et du centre n’a jamais cessé d’assurer que tout se jouerait dans les trois dernières semaines, voire dans les quinze derniers jours de la campagne. Nous y voilà. On soutiendrait volontiers qu’un mouvement va se produire entre Macron et Fillon. Macron l’emporte de sept ou huit points sur Fillon. C’est énorme. Macron va perdre quelques points. Fillon va en gagner quelques-uns. Assez pour assurer un basculement décisif? Qui le sait? Ce qui est probable, c’est que l’écart va se resserrer peu à peu. Toujours l’inattendu arrive. À moins, évidemment, qu’il ne se passe demain tout à fait autre chose d’imprévisible aujourd’hui.
Car, refrain, dans un sens ou dans l’autre,
nous sommes payés pour le savoir, toujours l’inattendu arrive.
Jean d’Ormesson pour le Figaro Premium
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