Les peuples d’Europe n’ont pas dit leur dernier mot.
À lire les éditos publiés ici ou là, et même très souvent ici, après la victoire de Macron, on pourrait croire que sont devenues caduques toutes les analyses sur la fracture entre le peuple (classes moyennes et populaires) et les élites. Pensez donc, le peuple a voté pour le candidat chéri des élites ! Vox populi, vox dei ! Et le populus se reconnaîtrait donc dans ce nouveau deus, représentant emblématique desdites élites. Cette élection aurait refermé la longue parenthèse ouverte depuis le référendum de 2005, et en fait depuis bien avant. C’est la réalité vue avec les lunettes du Monde.
Cette victoire du cercle autoproclamé de la « raison », si elle est analysée ainsi comme une réconciliation des élites mondialisées et multiculturelles avec des peuples attachés à leur identité et rejetant une immigration massive conduisant à leur dilution, n’est rien d’autre qu’une pensée magique. Le cercle de la raison sait se laisser aller à cela, quand ça l’arrange.
Dans le cas de l’élection de Macron, il suffira de rappeler qu’elle ne fut acquise que par le matraquage médiatique en faveur de ce candidat, quand on ignorait superbement les affaires Bayrou et Ferrand, qui étaient pourtant là, disponibles. Et la dénonciation tardive d’un syndicat de journalistes contre le parti pris de l’AFP en faveur de Macron montre bien que ce deux poids deux mesures n’était pas un fantasme de complotiste filloniste.
Mais nos tenants de la thèse de la disparition du « péril populiste » devraient aussi se repasser, en faisant leur prière bruxelloise du soir, les chiffres de l’abstention, les scores de Mélenchon et Le Pen, les résultats du Brexit et l’élection de Trump. Car le magicien Macron n’a pas effacé la lourde tendance populiste.
Une enquête large, sérieuse et chiffrée, comme les aiment nos élites, vient le confirmer.
Elle a été menée par l’Institut royal des affaires internationales Chatham House, célèbre think-tank britannique de Londres, entre décembre 2016 et février 2017 dans dix pays européens, sur un échantillon représentatif de 10.000 personnes et sur un second échantillon de plus de 1.800 membres des élites politiques, médiatiques et entrepreneuriales.
Et, sur l’immigration, le divorce est complet entre les deux mondes : 57 % des élites européennes pensent que l’immigration a été un bienfait, contre seulement 25 % des citoyens ordinaires ; 58 % des élites pensent que les immigrés améliorent la vie culturelle, contre seulement 32 % des citoyens ordinaires. Et inversement, une majorité des citoyens (51 %) affirme que l’immigration a aggravé la criminalité, contre 30 % des élites. De même, 55 % des citoyens pensent que l’immigration pèse sur l’État-providence, contre 35 % des élites. Et les mêmes oppositions séparent peuple et élites sur l’islam et les musulmans : 56 % pensent ainsi que toute nouvelle immigration en provenance de pays musulmans doit être stoppée, contre une minorité des élites (32 %). Et 55 % des citoyens affirment que les styles de vie européen et musulman sont irréconciliables (contre 35 %). La rupture est encore plus forte sur l’Union européenne : 71 % des élites considèrent avoir bénéficié de l’Union européenne, contre seulement 34 % des citoyens. Enfin, les deux groupes s’opposent aussi sur les réfugiés, le Brexit, le rôle de l’Allemagne, le mariage homosexuel et la peine de mort.
Si, comme c’est de plus en plus le cas, la réalité vient donner raison aux « gens ordinaires » contre les élites, alors ces tendances lourdes ne feront que grossir avec, en plus, un légitime sentiment de trahison et de colère contre ces élites. Et ce n’est pas un Président des élites qui pourra les inverser, lui qui n’a, pour le moment, manifesté aucune intention d’arrêter l’immigration et l’islamisation de l’Europe. Une politique de grandeur – et de raison – susceptible de réconcilier peuples et élites ne se construira pas sans ce préalable-là.
Les peuples d’Europe n’ont pas dit leur dernier mot.
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