Quel libéral est Emmanuel Macron ?
Si ses adversaires l'ont caricaturé comme un tenant du libéralisme, voire comme un ultralibéral, le nouveau président est bien plus tempéré.
PAR FLORENT BARRACO
Modifié le - Publié le | Le Point.fr
On l'a présenté comme un homme ni de droite ni de gauche. Lui-même s'est défini comme « et de droite et de gauche ». On l'a annoncé comme le candidat du renouveau, mais « en même temps » comme l'héritier du président (« Emmanuel Hollande », dixit François Fillon). Certains de ses ennemis l'ont qualifié de « centriste », de « libéral » (Jean-Luc Mélenchon) qui porte « un programme de casse sociale » (Nicolas Dupont-Aignan) préparant une loi El Khomri « puissance 1 000 » (Marine Le Pen). D'autres l'ont renvoyé à son camp d'origine : « On a beau vouloir habiller complaisamment sa candidature de quelques plumes d'aigle, elle ne réussit pas à quitter la basse-cour socialiste » (François Fillon).
Emmanuel Macron a été durant l'ensemble de la campagne l'objet de critiques contradictoires. La plus insistante semble celle liée à son libéralisme. Son passé de banquier a sans doute encouragé cette perception – avec la plupart du temps une confusion entre finance, marché, capitalisme et libéralisme. L'ex-ministre de l'Économie de François Hollande est-il le libéral que l'on présente ? Alain Laurent, penseur, historien, essayiste et auteur de La Philosophie libérale (2002), et Erwan Le Noan, associé d'un cabinet de conseil en stratégie et membre du conseil scientifique de la Fondation pour l'innovation politique, tentent pour Le Point.fr de décrypter le positionnement du nouveau président de la République.
Un libéral, vraiment ?
Pour Erwan Le Noan (1), « Emmanuel Macron introduit à l'évidence une dose de libéralisme dans le logiciel de gauche, dont il est issu : il marque une rupture avec le socialisme à l'ancienne que nous avons connu en France ». Sa victoire idéologique marque la revanche de la deuxième gauche pour qui le marché n'est pas un ennemi. Où l'on valorise davantage l'individu plutôt que le collectif. « En ce sens, il fait faire un bond conceptuel à la gauche française », précise l'auteur de La France des opportunités. « Au vu de ses prises de position récentes et de son actuel programme, il s'agit d'un libéralisme bien tempéré, de type ma non troppo, tempère Alain Laurent, spécialiste du libéralisme. Car il ne suffit pas de prôner des mesures de libéralisation bienvenues mais partielles pour devenir un libéral dans la plénitude classique de cette labellisation. »
Si quelques mesures promises par Emmanuel Macron semblent en effet moderniser le logiciel de la gauche – qui finalement s'aligne sur celui de ses voisines européennes –, faut-il y voir cependant un descendant de Hayek ou de Smith ? « Le plus approprié serait de parler d'un libéralisme de gauche, intellectuellement héritier de John Stuart Mill et plus récemment en France d'Aron », répond Alain Laurent (2). L'individu est encouragé à entreprendre, la libre-concurrence y est valorisée même si elle est cadrée. La main invisible reste finalement toujours celle de l'État… « Le libéralisme d'Emmanuel Macron se concentre sur l'individu et sa capacité à se déployer pleinement. Mais il mise sur l'État et l'action publique pour y parvenir. Là où Hayek et d'autres font confiance au marché, lui semble considérer qu'il est du devoir de l'État d'intervenir pour révéler les talents, donner la capacité aux citoyens de se déployer, dirait Amartya Sen », décrypte Erwan Le Noan, qui a côtoyé Macron à la commission Attali qui cherchait à améliorer le fonctionnement de l'État providence.
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L'une des réformes majeures proposées par le candidat Macron est la refonte profonde du Code du travail. En changeant de prisme, l'accord d'entreprise supplanterait l'accord de branche, le leader d'En marche ! prend le chemin du libéralisme. « Si à elle seule, elle ne peut représenter LE baromètre d'une libéralisation, elle en est néanmoins un aspect stratégiquement décisif », signale l'historien, qui ose une comparaison : « Cette réforme, c'est pratiquement du Turgot face aux corporations et ultraréglementations de l'économie de l'Ancien Régime : quoi de plus libéral ? » Emmanuel Macron passera donc son premier test de libéralisme avec cette réforme, qu'il souhaite imposer par ordonnances dès cet été. Le président de la République reçoit en préambule ce mardi les représentants syndicaux et patronaux. Pour l'auteur de La France des opportunités, cette mesure, qui s'accompagne de nouvelles sécurités ou protections (comme la démission ouvrant des droits au chômage), s'inscrirait davantage dans le modèle de la « flexisécurité » chère à la sociale-démocratie. Le libéralisme « s'évalue aussi à la promotion de la concurrence sur les marchés et, il me semble, surtout au poids de l'État dans l'économie ».
Un libéral total ?
Le nouveau président de la République n'est clairement pas socialiste – il l'a dit lui-même lors d'une visite au Puy du Fou – et se veut promoteur bon an mal an de mesures libérales en économie, il affiche également un progressisme sur le plan sociétal. Ce ne fut pas le cas de François Fillon, plus ambitieux sur les mesures économiques, mais conservateurs sur les mœurs. Emmanuel Macron afficherait-il un libéralisme total car prenant en compte « les deux faces d'une même pièce », comme le dit Jean-Claude Michéa dans nombre de ses livres ? « Il vaut mieux parler d'un libéralisme global, c'est-à-dire qui s'étend « en même temps » à tous les champs : politiques, économiques, sociétaux et culturels. Mais de manière inégale, déséquilibrée, trop timide en économie par exemple, et au risque d'une ouverture excessive dans le domaine (multi) culturel, imprégnée de libéralisme », juge Alain Laurent.
Dans L'Obs , à quelques jours du premier tour, l'historien Marcel Gauchet avait défini celui qui n'était encore qu'un candidat. « Macron est le premier vrai libéral, au sens philosophique du terme, à surgir sur la scène politique française depuis très longtemps. Il incarne un libéralisme positif, qui ne se contente pas de défaire des protections, mais pour lequel le jeu des libertés personnelles est, par principe, profitable à tous. »
Finalement, si Macron n'est pas un libéral révolutionnaire, il a le mérite, pour Erwan Le Noan, de réintroduire « avec éclat le libéralisme dans un camp d'où il avait radicalement disparu – ou pour être exact, où il était radicalement étouffé ».
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Quelles chances de réussite ?
La France, historiquement centralisatrice, viscéralement colbertiste, et dont l'égalité a toujours primé sur la liberté, est-elle prête à ce virage libéral, même minimaliste ? Pour rappel, le seul candidat franchement libéral n'avait réuni que 3,9 % des suffrages en 2002 (Alain Madelin) ? « L'atout et la faiblesse du libéralisme d'Emmanuel Macron, c'est qu'il n'est pas révolutionnaire : il ne propose pas de sortir du système d'État providence, mais de l'amender, de le réformer, répond Le Noan. Ce programme n'est pas un défi facile, mais il serait probablement erroné de considérer qu'il vise à renverser la table. »
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« Qu'un tel virage libéral puisse être massivement bien accueilli, rien n'est moins sûr en effet. Malgré ses limites, il a toute [mal]chance de provoquer les résistances opiniâtres d'une majorité de Français, renchérit Alain Laurent. Macron est bien inspiré de dire : Je crois à la responsabilité des individus : reste à passer à l'acte, en faisant comprendre à nos compatriotes qu'il faut enfin devenir adultes en économie aussi... »
(1) Erwan Le Noan : associé d'un cabinet de conseil en stratégie, membre du Conseil scientifique de la Fondation pour l'innovation politique. Dernier ouvrage paru : Auteur de La France des Opportunités (Les Belles Lettres, 2017)
(2) Alain Laurent : philosophe, historien des idées et essayiste. Auteur aux Belles Lettres de La philosophie libérale (2002) et, avec V. Valentin, des Penseurs libéraux (2012). Dernier ouvrage paru : L'autre individualisme - Une anthologie (Les Belles Lettres, 2016)
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